couverture

Spectre en demeure

Sémiotique de Tanizaki

dir. Shawn Huffman, Textures lumineuses, Cahiers du CELAT, éd. du Septentrion, 2009, 15 p.





En Occident, le monde n’est pas si sombre que soudain il ne s’illumine. Clarté vraie des Idées de Platon promue en photologie par la métaphysique occidentale1, jaculation persévérante du parler clair des Lumières ; pour le moderne, lueur des becs de gaz2 bientôt concurrencée par l’électricité promue en unité de mesure universelle : la lumière est effet de source, le monde prend source à cet effet. Au commencement était la lumière. L’Hexaméron ne connaît pas la nuit. Les ténèbres ne sont pas créées par Dieu. Néant séparé de l’Être, la nuit n’est qu’un signe abstrait de l’inexistant. La nuit dans le sens johannique n’apparaît qu’avec la chute. Pour l’instant, le matin et le soir désignent la progression créatrice de la lumière, sa succession sans interruption. Ils ne forment que le jour, pure dimension de la lumière. Cette lumière n’est pas encore un élément optique, elle apparaîtra le quatrième jour avec le soleil astronomique. Pour être visible, il lui faudra attendre son spectre. Au commencement, le monde est théocentrique avant d’être héliocentrique. Que la lumière soit : que pour le monde en puissance, la Révélation soit. Le Verbe est la « vraie lumière » (Jean 1, 14). Dans Genèse (1 : 3-5) :


Dieu dit : « Lumière ! »/ et la lumière fut. Dieu vit la lumière : c’était bien ;/ il fit une séparation entre la lumière et les ténèbres./ Dieu appela la lumière Jour,/ et il appela les ténèbres Nuit./ Il y eut un soir, il y eut un matin, / Jour 1.


En revanche, dans la Théogonie3 d’Hésiode, les figures les plus déterminées sont aussi les plus récentes : Ether et le Jour naissent de l’Erèbe et de la noire Nuit ; Ouranos, ou le ciel constellé est postérieur à Gaïa. La Nuit est première. La Théogonie prépare le passage de la confusion non-intégrée à la complexité organisée et différenciée, en réduction du chaos. Elle aménage l’assimilation entre Hélios et Apollon que toute une tradition mythographique, compas en main, a circonscrit comme dieu de l’art, de la lumière et de l’équilibre, module harmonieux de la sôphrosunè, cette sagesse faite de modération, de mesure et de prudence. En Égypte, en Grèce, en Chine, au Japon4, le moins que l’on puisse dire c’est que le Soleil a inspiré mythologies et spéculations philosophiques.


En Occident, à partir du XIIe siècle, l’extraordinaire dialogue des traditions grecque, arabe et latine, de l’aristotélisme et du néoplatonisme soutenu par l’essor de la théologie scolastique assigne un rôle particulier à la lumière. D’une part, la cause première est assimilée à une lux. D’autre part, la physique de la lumière, le spectre de la lumière visible, allègue et invoque désormais sa métaphysique, l’un dans l’autre. Dans cette optique plus chrétienne que néoplatonicienne, la métaphysique s’assume précisément comme point de vue. Si le monde est la forme de la lumière et la lumière a l’objet de sa forme, le monde et son au-delà se conjoint en un tout est « bien » d’une perfection lumineuse. La seule tragédie possible serait la mort du soleil. La lumière ouvre ainsi une perspective métaphysique, physique et égocentrique capable de procurer une expérience, une morphologie et une cohérence au monde au-delà du sensible. Elle devient un principe d’harmonie dont la couleur n’est plus qu’une forme particulière. Telle est la dette insolvable de Dante mais aussi de l’Occident chrétien à l’égard de la tradition philosophique de l’aristotélisme : non seulement l’Etre existe à travers le sensible mais le sensible est le point de départ de la connaissance. Seulement, il ne s’y arrête pas. À partir de ce qui est clair pour nous, c’est-à-dire immédiatement connu et seulement esthétiquement marqué, le sensible aspire à ce qui est clair « en soi », c’est-à-dire ontologiquement marqué. La lumière devient la forme, sachant que la forme est la substance en acte. Ce principe d’harmonie fabriqué à partir d’un aristotélisme d’apparat ouvre la porte à un certain fonctionnalisme qui perpétue la différence ontologique entre essence et existence sous couvert de partage entre forme et substance. Sous le masque du recours scientifique et de la fonction esthétique – l’effet se connaîtrait dans sa cause, la fonction d’une partie est décrite selon sa relation avec le tout dont elle est partie – cette physique (optique), si tant est que le mot puisse s’employer, fonctionne en ontologie.


Ce que donne à voir la prim’ombra du chant XXXVIII du Purgatoire de Dante, c’est la naissance du monde. Au lever du soleil correspond le dessin sur la Terre du grand mont du Purgatoire. L’image nocturne où l’ombre qui est le tout cède à l’ombre diurne qui n’est plus que la partie ; passage à la limite de la synecdoque à la métonymie, atrophie tropique du terme maximal au terme minimal. Pour le moderne, le prix de cette réduction est une alternative qui permet d’y voir clair, à partir de la métaphore. Le monde est à la fois nommé à partir du blanc et accompli par une extase solaire : la métaphore est lumineuse. Il n’est que d’y voir clair – comme de s’en référer à la vérité, au double transport – : faire tourner le soleil dans la métaphore, tourner la métaphore vers le soleil. La métaphore héliotrope m’invite à contempler la source de la vérité et du sens, à ne suivre du regard rien d’autre que le tracé de l’absolu5, cette transparence dont Aristote dit qu’elle est le chemin même du regard qui accompagne la lumière et la traverse. Philosophème irremplaçable, le soleil n’a pas d’autre spectre possible que la métaphore. L’alêthéia ne partage ni la vérité ni la lumière. La vérité est prête à se faire dévoiler. Ce dévoilement est apophantique et apocalyptique. Il fait aller vers la lumière (eis phaos), il rend à l’évidence, porte au jour, met en lumière. En Occident, puisque voir c’est savoir, la vérité ne fait pas l’ombre d’un doute. Et comme le doute n’est pas bon et la lumière lumineuse, le deus revelatus se nomme Dieu Lumière. Le Soleil mystique, le Christ que les peintres de la Renaissance représentent parfois sous les traits d’Apollon, remplace désormais le Soleil mythique. Sa mort provoque l’éclipse sur le Calvaire. Le soleil s’arroge ainsi l’autorité d’un dieu et la métaphore l’éclat d’une divinité. Dieu lui-même est divin d’être lumineux. Soucieux de révéler sa part de soleil intérieur, le héros – enfant ou poète – s’imagine dès lors une ascendance solaire dont la poésie est de « le rendre à son état primitif de fils du soleil ». Fils (Phaéton) et rival (Astérion) tout à la fois. Fils primitif et père usurpé. Comme l’interaction du charbon et de la lumière produit le diamant, le voyant souffre la cécité et le soleil pour entrer en poésie : s’illuminer. Selon le mot de Char, « la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil ». Et partout, la lumière. Trope et phore, jusqu’au sourire endeuillé de Béatrice. Dépourvue de pesanteur chez Pindare, elle éclaire les vainqueurs et les héros comme autant d’interventions du sacré. L’Ulysse dantesque s’en souvient qui encourage ses compagnons de route à suivre le soleil (Enfer, XXVI, 117) ; le périple vers le pôle Sud s’ouvre par une épiclèse au Soleil levant pour se clore par une invocation au Soleil couchant, signalant un mouvement géographique – le passage de l’Orient à l’Occident – et une géographie poétique. En Occident, les odyssées tournent toutes autour du soleil. La littérature elle-même coure après le soleil. 


De tradition occidentale, si le monde est initié par le nomos, il est révélé par le phôs. La lumen naturale signe tout6, de l’intérieur du corpo ombroso jusqu’à l’expérience du « deuil clair » du dernier sourire de Béatrice au chant XXXI du Paradis dont parle Borges dans ses Neuf essais sur Dante7. Et toujours au Paradis (Chant XVIII, v. 21), « Vincendo me col lume d’un sorriso,/ ella mi disse : « vlgiti e ascolta ;/ ché non pur ne’ miei occhi è paradiso », « Me vainquant par la lumière d’un sourire,/ Elle me dit : « Tourne-toi et écoute ;/ Le paradis n’est pas tout dans mes yeux. » Peut-être pas le paradis mais certainement la lumière. Photoscopie : si l’œil ne perçoit pas l’objet mais la lumière réfléchie par l’objet, c’est que l’objet n’est visible que parce que la lumière le rend lumineux. Comme pour les stries du noir de Soulages, certaines huiles monumentales de Clifford Still et Ellen Gallagher, même au plus noir, la lumière est l’Épouse. Le noir n’est d’ailleurs jamais noir très longtemps. Ce que l’on voit, c’est la lumière qui s’unit à l’objet. L’objet a la forme de la lumière. La lumière a l’objet de sa forme. Révélant l’espace, la vie et la lumière peuvent s’identifier, l’horizontalité de l’humain et la verticalité du divin correspondre. « Matière remuée de mythes », la lumière indique désormais une transcendance, un principe spirituel duquel la correspondance de l’homme et du divin s’articule. Les icônes de Novgorod puis celles de l’École de Moscou dont Andreï Roublev est le plus glorieux représentant, par exemple, ne dévoilent que la lumière, mais jusqu’à l’étincelle intérieure. Si la couleur attire le regard, ce n’est que pour reconduire à cette évidence que seule la lumière est. La topique du Deus Pictor fait de Dieu un peintre dont l’Univers est son tableau et le soleil son princeau. Lumière colore, du moins la couleur est-elle mesurée à l’intensité relative de la lumière. Disons que la lumière modalise la couleur. Comme pour les vitraux de la cathédrale de Bourges et la Rose de l’Apocalypse de la Sainte-Chapelle dont Paul Claudel écrit que « le mouvement au travers de la muraille écartée, de l’âme vers la lumière, […] donne le verre lui-même comme enveloppe à son oratoire »8, c’est moins l’œil en tant que tel qui voit, que l’âme, par l’œil. Goethe parle d’ailleurs de la « parenté directe de la lumière avec l’œil »9 et Malevitch, sensible à l’art de Monet et Manet, retient des pointillistes « que la peinture est avant tout une matière semblable à la lumière »10. Dans un vitrail11, une lumière plus ou moins intense module infiniment la couleur. La couleur se fait au prix de la luminosité. La mise en couleur est mesurée à la mise en lumière. Le grand récit de la liturgie chrétienne justifie dès lors son titre de Légende dorée. Le récit biblique ne peut plus que « s’afficher sur de la lumière » dit Claudel et Meschonnic de préciser en une formule définitive : « le sens du vitrail, celui de son lieu, étant, selon la tradition, d’être la lumière qui passe à travers une histoire sainte, qui fait de la lumière même une histoire sainte et de cette histoire sainte une lumière. »12 En ce sens, l’expérience esthétique du vitrail est une soumision de la matérialité et de l’intensité des couleurs à l’intensité lumineuse. Il en est tout autrement pour un tableau où la stabilité perceptive de la peinture se fait au prix d’une mise en concurrence de la matière et de la lumière. Monet aurait beau moduler ad infinitum l’intensité lumineuse des couleurs de sa cathédrale, il ne peint qu’à partir du moment où la lumière n’est pas la matière. Mais alors du moment où la lumière n’est effectivement pas la matière, le noir n’est pas noir très longtemps. Pour que le noir reste noir il faudrait qu’il en reste à la matière. Il faudrait un noir idéal, non un noir réaliste. Du point de vue du réalisme donc, les noirs de Soulages portent-ils bien leur nom ? En Occident, l’absence de couleur et l’absence de lumière sont sur le même plan. Ainsi le noir. Quant au blanc, peu importe que la physique newtonienne contredise un temps l’acception populaire, il est l’absence de couleurs plus la lumière. Ce qui opposerait le noir au blanc, ce serait moins la couleur que la lumière. Mais pour autant que l’on considère que le noir puisse gagner en couleur ce qu’il gagne en matière, la lumière passe au second plan. Lumière ne fera pas matière. Il s’ensuit que couleur et lumière ou luminosité sont en concurrence. Il suffit que la luminosité diminue, celle d’une source non pas étrangère mais extérieure au tableau, disons toute configuration élargie de l’éclairage, pour que le noir gagne en intensité de couleur, en densité et en matérialité. Du point de vue de la modalité, du moins selon le contexte de l’expérience esthétique et subjectale, si matière et lumière sont tout autant en concurrence, c’est peut-être bien parce que l’oeil est plus sensible aux intensités lumineuses faibles. L’oeil voit avec davantage de détails les ombres foncées que les clairs à haute intensité. Alors non seulement le noir entre en connivence avec la matière, mais aussi avec le contexte et le sujet perçevant. L’argument est convenu, la matière gagne en réalisme ce qu’elle perd en lumière puisque précisèment la lumière est idéale. Le noir lui-même perd en lumière. « Dynamisme visuel et perceptif dans un cas, rétention dans l’autre cas ; l’intensité lumineuse et celle des modes de densité de présence matérielle varieraient de manière inverse et modaliseraient diversement la perception du sujet en jouant d’effets de contraste, de surface et de profondeur. »13 Est-ce pour cela qu’il n’est jamais noir très longtemps ou parce que ce qui est patiné dans les noirs de Soulages, dont le pluriel invite peut-être moins à la mise en série qu’à la mise en couleur, c’est la lumière ? Le récent essai que Meschonnic consacre au peintre sacrifie encore à cette grande attraction d’Hélios. Le sacrifice est à mettre sur le compte d’une patine paradoxale pour laquelle le supplément de lumière vaut pour supplément de vie. Et supplément de vie vaut pour jouvence. C’est dire à quel point la lumière est vitale :


Depuis 1979, dans la pâte lisse ou striée du noir, l’élan lui-même peint la lumière. Plus ont vit, plus on aime le monde, la lumière. C’est pourquoi les peintres rajeunissent avec l’âge. Ne naissent et ne renaissent que dans leur maturité.14


A contrario du vitrail, il n’y a jamais de source de lumière dans les icones russes et bizantines. La lumière y règne en maître, partout et sans ombre, sans foyer localisable. Selon la perspective inversée, le point de fuite se trouve devant l’icône. Les points de fuite et la profondeur ne sont pas à l’intérieur du tableau car l’icône renverse devant elle et dans l’oeil du croyant son horizon. L’icône est moins l’objet du regard qu’un organe de la vision. Ce n’est d’ailleurs pas une image matérielle que le croyant est censé vénérer, c’est la Beauté, entendu que le Beau est divin. L’icône étant à la fois l’oeil et la Beauté, idéalement, la lumière est dans l’oeil. Si l’iconographe peint davantage avec la lumière qu’avec les couleurs, c’est bien plutôt qu’il peint la lumière. Cette lumière de l’icône n’est pas une propriété accidentelle, celle qui s’attacherait au sujet et à sa forme, mais sa substance spirituelle. De ce partage entre l’art sacré et l’art profane il résulte que l’or des icônes est lumière alors que les tableaux de Klimt ne sont que dorés. Si la lumière est la matière, alors la source est en effet superflue. Même en termes techniques, le fond d’or de l’icone s’appelle lumière. Le ciel physique traduisant le ciel transcendant, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel culminent en or pur du Midi sans ombre, en blancheur aveuglante du Thabor. Soleil mystique. Lumière thaborique. Le soleil du zénith inonde le monde par le sentiment doré de son éternité. Les tons bleu pale, écarlate et rouge vermeille, rouge cinabre pour les icônes de Novgord, se confondent en or fin, mobile, vivant, pneumatisé, en couleur de feu qui annonce le jour du Seigneur. Si les couleurs sont plurielles, la lumière, elle, dans toutes ses nuances, est unique. Lumière vaut pour théophanie. Même après la chute, elle luit dans les ténèbres. Fulgurance, elle métamorphose la nuit en jour sans déclin. Elle fait cercle et parabole. En même temps que se dessine l’image de la croix, se dessine l’image du cercle, représentant l’univers dont le christ-roi, christ solaire est tout à la fois le maître (cosmoerator) et le régulateur (ehronoerator). Si l’apocalyse est au terme, il est aussi au commencement. Impuissante à se soustraire à la lumière, la ténèbre fuie à l’intérieur d’elle-même. Lors du Repas du Seigneur, la chambre haute est toute inondée de lumière car le Christ est au milieu des apôtres. Si Satan entre en Judas, celui-ci ne peut plus demeurer dans la lumière : il sort précipitamment. Il faisait nuit. Quant à Lucifer, si il est « porteur de lumière », sa lumière n’est pas de nature à mettre en lumière, ni à dévoiler ni à rendre à l’évidence. Son luminaire est obscur. L’Hadès grec ou le Shéol hébreu signifient ce lieu enténébré où l’indigence de l’être est une solitude absolue du regard.


Partout, la lumière ; nulle part, le soleil. Chez Ponge et chez Derrida, l’aporie du photoscopique ocidental, c’est que le soleil y occupe la place d’un abîme impossible à mettre en abyme. Le soleil y est déjà spectral. Plus il meurt, plus il revient. Du moins pourrait-il encore mourir si il était déjà un spectre ? Source invisible de la lumière, il est en deça et au-delà de ce qu’il figure. Il est médusant. Ressource du soleil, la source s’y dérobe. C’est pour cela qu’on ne peut le regarder en face sous peine d’aveuglement ou de mort. Charnier, on y entasse les morts. Comme le dormeur du val qui ne dort pas sous le soleil mais « dans le soleil », on y meure en métaphore et en gage de poèsie. Depuis le poète aux semelles de vent, jusqu’à Char, Perse et Supervielle, le poète, enfant-roi, héros-voyageur est un va nu pieds dans le soleil. Et ce voyage là est réel. Seulement, il ne se mesure pas. Aucun soleil ne le rattrape. Si le soleil vaut pour littérature et vice-versa, c’est que leur limite est à tous deux infiniment poétique. Après coup, toujours en retard, le poète ne peut que courir après son soleil. Jamais aucune éclipse n’abolira le soleil. Pile et face, all-égoria : puisqu’il disparaît pour apparaître et vice-versa, aucune éclipse ne peut gagner le jeu, etc. En l’occurrence, le jeu de cache-cache. Francis Ponge, dans le Soleil placé en abîme, nous met en demeure :


Le PLUS BRILLANT des objets du monde n’est – de ce fait – non – n’est pas un objet ; c’est un trou, c’est l’abîme métaphysique : la condition formelle et indispensable de tout au monde. La condition de tous les autres objets. La condition même du regard.15


Comme pour tous les monstres, la fascination du soleil est celle du caché qui s’annihile par l’absence même qu’elle suscite. Le soleil de Derrida correspond précisèment à l’objet fascinant de Starobinski pour lequel, « la fascination émane d’une présence réelle qui nous oblige à lui préférer ce qu’elle dissimule, le lointain qu’elle nous empêche d’atteindre à l’instant même où elle s’offre. Notre regard est entraîné par le vide vertigineux qui se forme dans l’objet fascinant : un infini se creuse, dévorant l’objet réel par lequel il s’est rendu sensible. »16 Spectre comme fascination se dit du retour de ce qui a disparu et du temps disjoint du retour sur son origine (un désir de mort). Sitôt solaire, le soleil devient chthonien.


Un phénomène peut passer (et ils passent tous, en effet) mais il ne meurt pas. Il n’est même pas sûr qu’il mourra avec nous. Plus la volonté désire qu’il meure, mieux il survit et mieux il se prépare à revenir. Telle est l’origine des spectres.17


Il donne à voir la figuration symbolique de ce qui déborde le concept. Du point de vue de la lumière, le superlatif physique se métamorphose en superlatif métaphysique. De la sorte, le soleil est deux fois en position méta au moment de son analyse : pour la représentation et pour le sens. Si Derrida refuse au soleil le droit d’asserter – le soleil étant toujours plus ou moins le soleil – la déhiscence de l’objet devient sa condition d’invention. Cette invention fonctionne par substitution. Le soleil au carré, en représentation, métaphore de la métaphore, infiniment chassé de soleil en soleil, se multiplie dans des simulacres d’objets connotés et fictionnels. Numérique, le soleil est en métastase. Il acquiert donc le même statut que le signe chez Barthes, c’est-à-dire qu’il ne peut-être que répété puisque sa constitution en tant que signe suppose une reconnaissance. Cette réitabilité a pour effet une instabilité thétique.


Ainsi, plongé dans le désordre absurde et de mauvais goût du monde, dans le chaos des nuits, l’homme du moins compte les soleils.
Mais enfin, son dédain s’affirme et il cesse même de les compter.18


Spectres les uns des autres, soleil, mort, promesse qui « doit toujours être à la fois, en même temps, infinie et finie dans son principe », différence, témoignage... en reviennent au même. Fabriquer un objet qui fait défaut, ne serait-ce que pour l’installer en indisponibilité, est encore le meilleur moyen de s’assurer la légitimité de l’analyse. Encore que l’analyse est bien plutôt une métaphore, une métaphore autant pour la représentation que pour le sens, qui ne voudrait pas se justifier devant l’analyse discursive. Comme souvent chez Derrida, le paradoxe ne peut manquer d’être performant puisqu’il fabrique son objet au moment de son absence. Il est littéral. Il se constitue de ce qu’il parle : une hantise ou alors une superstition profonde, à savoir que les fantômes sont à trouver justement là où ils ont cessé d’exister, vivants. In fine, puisqu’il est tout aussi bien spectral et visible, infini et fini, le soleil de Derrida ne s’oppose à rien. Il n’existe pas, puisque l’existence est ce mode d’être qui réside dans l’opposition à un autre. Il ne court-circuite pas vraiment l’analyse discursive, plutôt il construit ou perpétue une mythologie. Mais il est aussi absolument contre-performant puisque, pour autant qu’il est en spectre et en métastase, le soleil est mis en abyme. La métaphore du spectre signifie le contraire de ce qu’elle énonce. Ou bien le soleil est spectral et il est possible de le mettre en abyme ou bien il est présent et il est impossible de le mettre en abyme. Le choix est à faire entre la métaphysique du fantôme et la physique de l’objet. Mais comme Derrida prétend à l’objectification du fantôme, en métaphysique réelle, il ne peut pas choisir. Le spectre du soleil, c’est Derrida.

La lumière ne donne pas seulement la mesure de l’ombre – lumière blessée à mesure de l’ombre augmentée, d’où ombre assombrie, rapport ambigu à sa propre mort : « laissons la finitude au soleil […] il n’y a de deuil, et de mort […] que pour ce qui regarde le soleil. »19, royaume des morts, frisson du deuil du poème de Borges qui sauve encore une fois le monde, « la lumière discourt inventant des couleurs sales/ Et avec quelques remords/ De ma complicité dans la résurrection quotidienne/ Je recherche ma maison/ Figée et glaciale dans la lumière trouble/ Tandis qu’un étourneau empêche le silence/ Et que la nuit abolie/ Est restée dans les yeux des aveugles »20 –, elle initie et avertit l’origine du monde. À la lumière de mon expérience, elle a valeur d’éveil, depuis l’Orient jusqu’à la conscience occidentale de l’histoire universelle hégélienne21. En Occident judéo-chrétien, la lumière assume presque invariablement la trasumanar, l’être de lumière donc, l’irradiation intérieure, produit comme excès et extase de mimésis, félicité céleste, neutralité de la forme dépouillée d’attributions, forme anonyme mais sensible, forme sans forme, en or blanc22. A contrario, l’ombre se réduit à l’ombre portée, forme de ce qui n’a pas de forme, silhouette détachée en négatif mais engendrée par la lumière, et qui donc ne peut y être absolument opposée puisque c’est de la lumière que jaillit l’ombre, tandis que les ténèbres, visiblement assimilée à une ombre parfaite, achève la disparition des ombres. Ainsi, quand Tanizaki publie son Éloge de l’ombre23 en 1933, le refus de l’éclat et la promotion nostalgique de l’obscurité ont valeur de plaidoyer. Dans un archipel mis au pas de la modernité, l’invitation à préserver la ténèbre a valeur de manifeste. Elle engage à défendre un Japon séculaire gangrené par l’électricité, elle convie à une littérature du peu de visibilité :


Pour moi, j’aimerais faire revivre, dans le domaine de la littérature au moins, cet univers d’ombre que nous sommes en train de dissiper. J’aimerais élargir l’auvent de cet édifice qui a nom « littérature », en obscurcir les murs, plonger dans l’ombre ce qui est trop visible, et en dépouiller l’intérieur de tout ornement superflu. Je ne prétends pas qu’il faille en faire autant de toutes les maisons. Mais il serait bon je crois qu’il en reste, ne fût-ce qu’une seule, de ce genre. Et pour voir ce que cela peut donner, eh bien, je m’en vais éteindre ma lampe électrique.24


Éteindre la lampe électrique, c’est continuer un lieu « obscur et trouble » – la demeure des morts – la littérature. Pour Tanizaki, si une forme n’est pas plus nette à la lumière c’est que l’ombre fait anamnèse : elle informe la chose, elle y révèle le travail du temps, sa souillure, elle implique la reconnaissance de son Erinnerung. La méfiance envers la lumière porte une vérité qui ne se dit pas en plein jour et, heureux de cette leçon d’obscurité, le monde s’alentit, la vie elle-même se récupère pour atteindre une continuité foncière, une « mélancolie », « une épaisseur de silence »25. Les « profondeurs »26 de l’ombre figurent les replis de la sensibilité – kanjusei et kansei27 –, son intensité, sa matière. En se chargeant des contenus sémantiques de la culture nippone, le peu de lumière devient la condition indispensable au sentiment esthétique.


Un coffret, un plateau de table basse, une étagère de laque brillante à dessin de poudre d’or, peuvent paraître tapageurs, criards, voire vulgaires ; mais faites une expérience : plongez l’espace qui les entoure dans une noire obscurité, puis substituez à la lumière solaire ou électrique la lueur d’une unique lampe à huile ou d’une chandelle, et vous verrez aussitôt ces objets tapageurs prendre de la profondeur, de la sobriété et de la densité.28


C’est ainsi que toute beauté – celle d’un pavillon de thé comme celle d’une geisha de Kyoto – est relative à l’ombre. « En fait, écrit Tanizaki, on peut dire que l’obscurité est la condition indispensable pour apprécier la beauté d’un laque »29, comme « la lumière indirecte et diffuse est le facteur essentiel de la beauté de nos demeures »30.

Dans l’Éloge de l’ombre, l’ombre est un actant qui rend visible l’entour sémiotique et les effets du temps selon une série d’oppositions. De nos jours, note le narrateur, « on en est venu à fabriquer aussi des laques blancs, mais de tout temps la surface des laques avait été noire, brune ou rouge… »31 Désormais, un blanc trop blanc et un éclairage électrique trop direct vident le monde de ses nuances chromatiques. Le monde perd en subtilité et en mystère ce qu’il perd en obscurité : l’unique coup d’œil suffit à l’usage du monde alors qu’une longue tradition d’obscurité en appelait à l’intuition contre l’analyse discursive, à deviner les matières plutôt qu’à les voir, contre l’impératif utilitaire et le souci hygiéniste. Le rejet est sans concession, l’éclairage électrique est inadapté à saisir la beauté d’un laque, par exemple. Il méconnaît surtout les conditions sémiotiques de sa production puisque les artisans de jadis avaient l’idée d’un éclairage indigent pour mettre en valeur leurs laques. De sorte qu’un laque « tapageur, criard et vulgaire » en pleine lumière, pauvre en matière, serait tout autre, somptueux et riche en « résonances inexprimables » caché dans l’ombre. L’usage lui-même s’en trouve altéré : alors qu’un laque enfoui dans la pénombre est sans doute propice à la méditation, en pleine lumière il n’est plus question que d’usage. Dans l’expérience de l’ombre, l’appréhension des sens sollicite à son tour la vie psychique et jusqu’à l’expérience esthétique de « nature mystique, avec même un petit goût zennique »32. Si la beauté japonaise est faite de mystère, c’est donc tout un monde qui menace de disparaître. Entre un passé immémorial (« de tout temps ») d’artisanat et un présent d’électricité, la disjonction se fait une première fois sur le plan de l’intention. De cette irrévérence à l’égard d’un passé fait de traditions dont l’artisanat récupère la valence33, il résulte que le mésusage de la lumière détruit non seulement la qualité esthétique des objets mais également la possibilité même d’un quelconque rapport esthétique. L’apparition de l’électricité dans la vie japonaise, aussi bien en excès qu’en déficit au regard de la tradition, engage ainsi une rupture esthétique. Cette rupture esthétique fait date. Elle est une rupture historique autour de laquelle se désarticulent le temps d’un avant et celui d’un après. En engendrant une crise esthétique, l’électricité fait plus que porter préjudice à l’esthétique japonaise telle que définie par Tanizaki, elle consomme une rupture culturelle, éthique et gnoséologique dont l’effet est une reconfiguration globale des dispositifs pratiques et théoriques de la culture japonaise. Comme toute culture, celle-ci se caractéristique par son mode de transmission que l’on désigne communément par tradition, c’est-à-dire ce qui d’un passé persiste dans le présent où elle est transmise et demeure agissante et agréée par ceux qui la reçoivent et qui, à leur tour, la transmettent. « Maintenir une tradition, écrit Fontanille, c’est donc avant tout en saturer les relais énonciatifs : la tradition n’est vivante qui si on peut reconstituer ou imaginer une chaîne temporelle ininterrompue d’énonciations, car cette continuité sans faille garantit la présence maintenue et potentielle de l’origine. »34 En somme, la tradition a les valeurs de sa praxis énonciative.

En défendant que l’identité du Japon est exclusive d’électricité, l’intrusion de l’électricité vaut précisément pour anomalie culturelle ou déculturation. L’électricité est simplement incapable d’actualiser de quelque sorte que ce soit le contenu « Japon ». Son irruption figure l’interruption d’une quelconque contiguïté entre le plan de la rétention et le plan de la protension propre à la tradition. La gestion des jeux de l’ombre et de la lumière revient à administrer un patrimoine national. Et faire l’éloge de l’ombre est une façon de revendiquer la pérennité d’une culture dont le mode de transmission est la tradition. Du côté de la production des objets à valeur esthétique comme du côté de leur réception et de leur interprétation, l’électricité crée donc un différent herméneutique. Ainsi le blanc des cabinets d’hygiène qui n’a plus le « moindre rapport avec le raffinement » ni plus rien du « sens de la nature ». Ainsi du blanc trop blanc des hôpitaux, qui ne répond que d’une obsession hygiéniste, incapable de procurer aux patients la méditation et le repos que réclame pourtant leur convalescence. Mais alors d’où vient ce blanc si il ne vient ni de la culture ni de la nature ? Mais d’Occident. La nature de ce blanc est précisément d’être étranger à la culture japonaise, encore que Tanizaki se protège bien de condamner sans distinction le blanc. Avouer que le blanc manque au Japon, ce serait comme confesser une insuffisance. Tanizaki s’applique donc à opérer une différence sur fond de ressemblance. Seul le « blanc lumineux » se charge d’un contenu négatif assimilé à l’impérialisme de la culture occidentale. Il ne s’agit pas de condamner le blanc dans son ensemble, mais bien plutôt de mettre en évidence la profonde affinité entre le blanc et l’ombre puis entre la lumière et l’ombre. À condition de son imperfection, le blanc peut-être à la fois naturel et sensuel. Ainsi que le suggère le contre-exemple du papier de Chine, plaisir à la vue et au toucher, un papier peut être blanc sans pour autant perdre de sa lumière :


Le papier est, nous dit-on, une invention des Chinois ; toujours est-il que nous n’éprouvons, à l’égard du papier d’Occident, d’autre impression que d’avoir affaire à une matière strictement utilitaire, cependant qu’il nous suffit de voir la texture d’un papier de Chine, ou du Japon, pour sortir une sorte de tiédeur qui nous met le cœur à l’aise. A blancheur égale, celle d’un papier d’Occident diffère par nature de celle d’un hôsho ou d’un papier blanc de Chine. Les rayons lumineux semblent rebondir à la surface du papier d’Occident, alors que celle du hôsho ou du papier de Chine, pareille à la surface duveteuse de la première neige, les absorbe mollement. De plus, agréables au toucher, nos papiers se plient et se froissent sans bruit. Le contact est doux et légèrement humide, comme d’une feuille d’arbre.35


Ce papier n’accuse pourtant pas une origine japonaise, en quoi il n’appartient pas en propre à l’archipel. Il est certes exogène du point de vue de son origine mais familier du point de vue de sa sensibilité dit Tanizaki. Il évoque le nappé moelleux des substances, la liaison des matières, la porosité des formes : la subtilité des textures – blanc ainsi que les premières neiges, « doux et légèrement humide » comme une feuille d’arbre – prépare à l’effleurement tendre, à la caresse. Ces comparaisons indiquent une connivence avec la nature, un confort naturel. Les sèmes de chaleur (« tiédeur », « vivante tiédeur »), de souplesse, de douceur, la convocation du toucher, de la vue et de l’audition, la subtilité d’une matière à peine tangible concourent à l’expérience sensorielle synesthésique. Mais la qualité la plus remarquable de ce papier est de capter la lumière. Pour Tanizaki, ni l’ombre ni le blanc ne refuse la lumière. Seul le blanc occidental, froid et métallique, est photophobique. En Occident, blanc et lumière ne sont pas en connivence. Il s’ensuite une culture d’exclusion entre matière et lumière puisque matière, le papier par exemple, fait écran réfléchissant.


Les reflets blanchâtres du papier, comme s’ils étaient impuissants à entamer les ténèbres épaisses du toko no ma36, rebondissent en quelque sorte sur ces ténèbres, révélant un univers ambigu où l’ombre et la lumière se confondent.37


A contrario, même la nuit japonaise peut être blanche à condition qu’elle ne le soit pas d’un blanc du grand jour mais plutôt du blanc lacté de la lune ou de la femme. Quand à la beauté féminine, elle est comme un laque : c’est à condition de l’ombre qu’elle est belle et blanche. Autrement dit, ce blanc n’a de valeur qu’en rapport avec l’ombre.


Bref, nos ancêtres tenaient la femme, à l’instar des objets de laque à la poudre d’or ou de nacre, pour un être inséparable de l’obscurité, et autant que faire se pouvait, ils s’efforçaient de la plonger toute entière dans l’ombre ; de là ces longues manches, des longues traînes qui voilaient d’ombre les mains et les pieds…38


Ainsi du blanc. En vérité, tout éclairage indigent permet de modaliser la couleur. À la lueur d’une flamme, l’ombre n’est plus la simple négation de la couleur, c’est un spectre complet.


Avez-vous jamais, vous qui me lisez, vu « la couleur des ténèbres à la lueur d’une flamme » ? Elles sont faites d’une matière autre que celle des ténèbres de la nuit sur une route, et si je puis risquer une comparaison, elles paraissent faites de corpuscules comme d’une cendre ténue, dont chaque parcelle resplendirait de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Il me sembla qu’elles allaient s’introduire dans mes yeux et, malgré moi, je battis des paupières.


L’ombre comme prisme chromatique apparaît alors avec toute l’évidence du phénomène. Elle propose une configuration dynamique de l’espace. En Occident, l’espace tout entier s’organise autour des meubles. Il est une totalité close dont le centre est le meuble. En revanche, au Japon, « l’ombre se passe de tout accessoire »39. L’ombre procure l’expérience d’une « dimension en plus de profondeur », une morphologie et une cohérence au monde au-delà du sensible. Elle devient un principe d’harmonie dont l’espace n’est plus qu’une forme particulière. L’ombre n’engage pas seulement une expérience esthétique, elle rend l’espace concevable et, un sens, elle rend le temps tangible. Tangible et figurable. Figuratif et abstrait. Elle accueille tous les mondes possibles, elle définit toute efficience véritable. Elle propose une spatialité sans contour, fractale, fluctuante dont l’instabilité perceptive et émotive exclut la matérialité trop calculée de l’Occident. Alors, l’ombre est la condition pour demeurer. D’une demeure dont la singularité tient à la non-fonctionnalité et la forme ouverte au défi du dénombrement. La transparence modulaire et flexible des shôji, les cloisons mobiles de papier, n’est pas seulement un effet voulu de matière, c’est un principe dynamique d’organisation de l’espace, un principe d’arrangement intérieur. Sur les shôji, à travers les shôji, l’intérieur et l’extérieur correspondent selon une esthétique écologique. La demeure est une structure ouverte, comme ce pavillon de thé de Kyoto où « dans la lumière douce des shôji et plongé dans ses rêveries, l’on éprouve, à contempler le spectacle du jardin qui s’étend sous la fenêtre, une émotion qu’il est impossible de décrire »40.

Lustre et patine désigneront désormais « l’épaisseur grasse » de l’ombre. La patine est l’expression du temps qui passe et du temps qui dure, le premier supposant le second. Elle figure la mémoire des objets, elle suppose que du temps a passé, que cette histoire s’est conséquemment inscrite sur la couche de la patine. Il ne suffit pas de faire remarquer que la patine est une surface d’inscription d’une énonciation, encore faut-il ajouter qu’elle engage une mémoire figurative qui est celle de la familiarité du point de vue de la relation avec les usagers. La patine implique un usage sans excès et une usure qui a su préserver l’identité profonde de l’objet mais qui a modifié son apparence, si bien que la matière perd de son éclat pour gagner en matière et profondeur. Pour Tanizaki, tout ce qui est brillant n’est pas beau ni lumineux. Dans la patine, la souillure et la crasse confèrent un surplus de chaleur à la matière et un supplément de matière à l’objet. Tanizaki remarque d’ailleurs que cette précarité lumineuse est mise en scène au théâtre – et kabuki – avec un certain bonheur. Elle s’oppose à l’ostentation occidentale, au reflet sans couleur, au miroir, à la vie diminuée des simulacres modernistes puisque « le beau n’est pas une substance en soi, mais rien qu’un dessin d’ombres, qu’un jeu de clair-obscur produit par la juxtaposition de substances diverses »41. Cette ombrologie photophobique est étrangère au moderne. Cette obscurité exorbitante n’est certes pas une simple soustraction ou privation de lumière. Elle se mesure aux effets d’un soleil noir, c’est dire qu’elle irradie depuis son obscurité. Elle augmente la matière, elle augmente les textures. La patine qui indique la permanence d’un usage et les effets du temps confère à l’objet une qualité tangible. L’intensité de l’ombre, condition nécessaire de la densité de la matière, touche enfin à la lumière. Pas de séparation qui ne soit définitive, ni de partage qui ne soit réversible. Elle n’est pas davantage une privation de lumière qu’une cécité, elle ressort moins d’une photologie négative que d’une ombrologie qui signifie selon une phénoménologie de l’ombre nécessaire. Cette ombre là n’indique pas un déficit de mimésis. Elle motive autant la sémiosis que la physis, elle modalise à la fois la dimension émotive et l’expérience esthétique du sujet. De la sorte, le monde n’est pas la relation entre un flux de lumière et une matière opaque mais une hospitalité réciproque de l’ombre et de la matière. Ce que Tanizaki désigne comme « transparence d’ombre ». À cette condition, elle est heuristique et sensible. L’ombre est la valeur.

En établissant une dialectique entre un passé valorisé et un présent impertinent, Éloge de l’ombre est plus qu’un traité d’esthétique japonaise, il assume la fonction politique, du moins culturelle du plaidoyer pour le respect de la tradition. Si l’ombre est la valeur, cette valeur ne prend sens que dans une configuration culturelle, précisément au moment où celle-ci est menacée. L’éloge de Tanizaki s’écrit en réaction à une modernité clinquante calquée sur le modèle européen et initiée par l’ère Meiji (1868-1912)42 qui vit l’effondrement de l’ordre féodal après plus de deux siècles de règne des shoguns de la dynastie Tokugawa Bakufu. C’est en ce sens que Fontanille parle de « plaidoyer pour l’unité de la culture : si les conditions de la vie quotidienne changent radicalement, les conditions de réception qui ont été prévues par les délégués de la culture disparaissent, et avec elles le sens qui était attaché aux objets, aux éclairages, aux habitudes »43. Les « jeux de l’ombre et de la lumière » expriment non seulement un conflit d’interprétations44 mais, de façon plus dramatique, une concurrence de mondes. Pour Tanizaki, la divergence entre culture d’ombre et culture électrique est une alternative à la fois « politique, religieuse, artistique et économique »45. Ainsi du choix de civilisation. De sorte qu’en choisissant encre de Chine et éclairage indigent, « notre pensée et notre littérature elles-mêmes n’auraient pas imité aussi servilement l’Occident et, qui sait ? peut-être nous serions-nous acheminés vers un monde nouveau tout à fait original »46. La réticence à la lumière désigne désormais autant le repli d’un certain régime sémiotique que la retraite d’une certaine configuration axiologique, elle signe un rejet sans concession de la modernité « où le soleil s’obstine à demeurer la métaphore enjouée du soleil, le spectre éblouissant de sa substitution »47. Désormais, l’ombre met en forme à temps et en matière. L’éloge de la patine a donc une fonction politique implicite, elle défend un patrimoine national, elle revendique la pérennité d’une histoire, disons Heian plutôt que Meiji.

L’ombre est la transaction culturelle du Japon, le Japon vaut pour son ombre : les conditions économiques du fantasme sont réunies. L’essai de Tanizaki figure le protocole même de la métonymie, c’est-à-dire de la transaction du désir : l’ombre contre un pays. L’hypertrophie tropique répondant désormais à l’identité, l’ombre-secret se métamorphose en valeur, savoir ou culture. Il n’est plus le simple effet d’une division, de ce qui est réservé, dérobé et protégé, il est l’accomplissement d’une identité nationale, dans le désir et par substitution. De la sorte, résoudre « l’énigme de l’ombre » revient, pour l’Occidental, à mener un whodunnit impossible. Placé face à une hygiène énigmatique, il lui incombe de révéler le secret d’un assassin – l’idéal japonais du yûgen, le mystère ineffable – sans savoir qu’il en est la victime. L’ombre-Japon signe ainsi un crime parfaitement ironique puisque l’enquêteur est la victime qui s’ignore et se contresigne. Au Japon, l’Occidental arrive toujours après-coup et les « jeux de l’ombre et de la lumière » n’ouvrent pas d’autre nuit que cette inexécutable jonction entre l’Orient et l’Occident. Cette impossible coïncidence des désirs fait toute la valeur du contrat et n’arrête pas de produire, d’un côté comme de l’autre, de la métaphore, du fantasme, séduction et malentendu mêlés. Le désir se confondant avec son objet et le manque à représenter avec l’identité, le Japon se déplace dans l’ombre. Le Japon est à l’image de l’ombre. In fine, l’ombre n’est plus la métaphore. C’est le Japon qui transporte l’ombre, qui est l’image qui n’est manifeste qu’en rapport avec la vérité qu’elle cache et indique tout à la fois, c’est-à-dire avec l’ombre ; montrer qu’on cache n’étant pas le spectacle le plus innocent, le Japon le plus ingénu sera aussi celui qui fera moins que montrer. Par un heureux retournement, le pays du Soleil Levant devient le royaume bien gardé de l’ombre, son sas d’entrée, sa citadelle48. Son économie fait figure de plus-value qui métamorphose une littérature du peu de visibilité en écriture du plus de réalité. La leçon de Tanizaki n’empêchera certes pas la modernité consumériste de gagner du terrain, ni Tokyo de devenir cette « garce de lumière » mais elle signera un manifeste de l’ombre qui fera écho à la même époque, en France, aux inspirations d’Antonin Artaud49 et dont le fondateur du butô, Hijikata, se souviendra : « la ténèbre est le meilleur symbole pour la lumière, on ne peut comprendre la nature de la lumière qu’en observant profondément les ténèbres »50.




Si la culture est une procédure non fixée d’association d’un code à un autre, elle fait l’objet d’une appréhension herméneutique. Le code n’est jamais qu’une convention, il n’est ni le message ni la signification. Il représente simplement la règle qui associe les éléments d’un système aux éléments d’un autre système. La culture n’est ni une structure ni la différence qui ne dirait plus rien de l’épreuve de la différence. En ce sens, la sémiotique de la culture s’accorde très légitimement à la littérature comparée dont la vertu est précisément de mettre les systèmes en rapport. Tous les textes seront certes virtuellement en rapport avec tous les textes mais la différence est précisément le rapport : le rapport n’est pas le même, qui se dit de la différence. Le rapport n’est jamais systématiquement celui de simple accessoire. On n’est pas quitte avec la différence parce qu’on en dit que l’identité. La différence est la structure de renvoi, c’est-à-dire l’exercice de la normativité. Dans le concert des méthodologies para-consistantes et des travaux interdisciplinaires, la littérature comparée pourrait de nouveau se faire entendre si elle prenait le soin de répéter sa leçon, à savoir que toute sémiotique de la culture est une sémiotique de la diversité qui inclut l’accident, le terme nié, non-identique. Mettre en rapport c’est vouloir instruire la différence par l’identité, c’est savoir faire une place à l’Autre, sinon à l’antagonisme, sans bénéfice d’inventaire univoque. Les « jeux de l’ombre et de la lumière » de Tanizaki sont une belle métaphore de la littérature comparée. Une métaphore précisément, qui assume son jeu : à savoir que tout décodage est un nouvel encodage ; qui précise sa relative relation au sens : à savoir que la critique littéraire est moins un outil de connaissance qu’un outil de simulation.

Pour se réconcilier avec son ombre – rejoindre ce qui survit aux formes – peut-être faut-il en effet souffrir de la perdre. Pour Bob Harris, le personnage de Sofia Coppola, comme pour le touriste en visite à Tokyo, la capitale nippone n’est qu’un décor. Visiter Tokyo, c’est faire l’expérience d’une chute, d’un arrêt sur image davantage qu’une chute dans le discours. Les néons font le jour, tant et si bien que la lumière artificielle fait littéralement écran : on n’y voit plus rien, le regard est halluciné, le ciel est obstrué. Arrêt sur image : le corps est le temps d’une hypnose (d’une distraction). Mais pour peu que les néons défaillent, voilà l’ampoule à incandescence d’Edison mise en difficulté, voilà le corps obscur du Japon qui perpétue sa danse. Du Fiat lux à l’ombre, le parcours proposé est le sens inverse de l’histoire universelle hégélienne. La leçon testamentaire des ténèbres – la carence en photons – engage à habiter l’ombre comme condition pour habiter les choses. L’ombre est la source. Selon le mot de Char, « si l’homme parfois ne fermait pas souverainement les yeux, il finirait par ne plus voir ce qui vaut d’être regardé. » Paroles d’ombre, ce serait continuer la demeure des morts – l’art – la littérature – cette « maison, écrit Levinas, qui se situe en retrait par rapport à l’anonymat de la terre, de l’air, de la lumière, de la forêt, de la route, de la mer, du fleuve… »51, cette adresse dont la sincérité de l’habitant s’oppose à la politique de l’occupant, et cette jouissance de la demeure à la représentation du territoire. C’est espérer qu’un jour enfin, on puisse regarder la foudre comme l’éblouissante obscurité ; espérer qu’au jeu de l’ombre et de la lumière, l’ombre ne soit pas toujours perdante ou perdue ; qu’un nouvel Orient ne fasse pas le jour et que Tokyo en profite pour offrir un spectacle fait d’une autre invisibilité : pour ne plus trouver un soleil à chaque détour de métaphore ; pour ne plus porter un soleil dans les yeux ; pour que voir ne soit plus savoir ; pour que « l’ombre m’ouvre les yeux,/ et le rapprochement de l’impossible au fond du jour/ […] sans que rien ne me soutienne ni me guide/ que la puissance de l’erreur,/ qu’une ombre taciturne et ne portant de lampe »52 ; pour que le spectre qui fasse retour ne soit plus décomposé ; pour que l’ombre ait de l’esprit donc, qu’elle ne soit ni sans corps ni demeure.



Olivier Sécardin

Université de Paris-IV Sorbonne, Université de Chicago





Notes

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[1] Jacques Derrida, « La mythologie blanche », Poétique, Paris, Seuil, N°5, 1971.

[2] Gustave Flaubert, notamment, a écrit de très belles pages sur « la lumière des becs de gaz, qui se tordaient au vent dans la brume », Gustave Flaubert, L’Éducation sentimentale, histoire d’un jeune homme, Œuvres, t. 2, Texte établi et annoté par A. Thibaudet et R. Dumesnil, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1952, p. 448.

[3] Hesiode, Théogonie, éd et trad. Mazon, Paris, Les Belles Lettres, 1re éd., 1928.

[4] Dans la mythologie japonaise, puisqu’il s’agit après tout de Tanizaki, Amaterasu-O-Mi-Kami, dééesse du Soleil, est engendrée par l’œil gauche du créateur Izanagi. Pour gouverner les hautes plaines du ciel, elle n’en est pas moins la protectrice des hommes. Mais son frère Takehaya-Susanoo refuse le royaume des océans et des tempêtes dont Izanagi veut lui confier la charge ; il veut rejoindre leur mère au royaume des morts. Furieux de ce refus, Izanagi l’exile. Un jour pourtant, Susanoo veut saluer sa sœur : il escalade le ciel, sa sœur le reçoit, mais, ivre, il s’emporte et détruit les rizières, il souille le pavillon de sa soeur. Amaterasu ne lui pardonne pas son ivresse ; déchaîné, Susanoo précipite un cheval dans le temple où la déesse tisse des étoffes sacrées pour les kami (dieux) du ciel. Une des fileuses meurt le sexe transpercé par une navette. Excédée, Amaterasu s’exile dans une caverne dont elle obstrue l’entrée. Sur Terre, le Soleil ne fait plus le jour. Les hommes vivent dans les ténèbres et la désolation. Alors huit cents myriades de kami se réunissent, et le kami-devin, Omoigane (« la sagesse »), imagine de prendre au piège le Soleil : il place un miroir sur un arbre qui fait face à la caverne et lâche des coqs pour prévenir du matin. La déesse Ama No Uzume se met à danser et à se dévêtir devant la grotte. Amaterasu, intriguée par ce vacarme, en demande la raison à Uzume. Celle-ci lui répond qu’une nouvelle déesse, bien supérieure au Soleil, est née. Amaterasu jette un coup d’œil dehors, et prend sa propre image dans le miroir pour la nouvelle déesse. Le temps d’une hypnose suffit – le Soleil regardant dans les yeux le Soleil – pour que Tajikara, le dieu de la Force, lui saisisse le poignet et l’oblige à sortir de la caverne. Par ruse et par force, la lumière revint sur Terre.

[5] Tracé promu « idéal occidental » par une exposition à la Bibliothèque de la Part-Dieu, à Lyon, du 28 octobre 2000 au 27 janvier 2001, De l’ombre à la lumière, Un idéal occidental

[6] « Peindre le Paradis, c’est s’engager en un lieu totalement et absolument clair où la lumière signe tout. C’est l’être converti en lumière, c’est le corps endeuillé rendu à l’air libre et spatialisé du matin qui revient en nous chaque jour. Ouvert au mouvement indifférent et splendide des saisons. C’est Matisse et sa couleur changée en vitrail dans la chapelle de Vence – déposée sur le verre et non plus sur le lin opaque de la toile. C’est la grande aventure cézanienne – et sa photo-analyse des lois de la vision, des lois du monde – se dépliant en trois dimensions à l’intérieur d’un lieu conçu entièrement par lui et qui augmente le vide. C’est la camera oscura muée en camera chiara, ouverte aux mouvements incessants de la lumière, au grand dehors, au grand autre de l’être, et immédiatement introjectée en plus-être. », Jean-Paul Marcheschi, « Cosí figurando il Paradiso : paraphrase du peintre, Paris, Larousse, Littérature, n°133, mars 2004, p. 79.

[7] Jorge Luis Borges, Neuf essais sur Dante, traduit de l’espagnol par Françoise Rosset, Paris, Gallimard, 1993.

[8] Paul Claudel, « Vitraux des cathédrales de France », L’œil écoute, Paris, Gallimard, 1946, p. 128.

[9] Johan Wolfgang von Goethe, Traité des couleurs, Paris, éd. Triades, 1973, p. 81.

[10] Kasimir Malevitch, La lumière et la Couleur, (1923-1926), p. 88.

[11] Le vitrail comme métaphore du monde n’a de sens qu’à partir d’une théologie de la présence et dans une culture qui sacralise la lumière.

[12] Henri Meschonnic, Le rythme et la lumière, avec Pierre Soulages, Ed. Odile Jacob, 2000, p. 218.

[13] Marie Renoue, « Des stries et du noir », Aux rythmes et aux lumières, Une description de sept peintures de Pierre Soulages, Protée, vol. 27, N°3, hiver 1999-2000, p. 113-114.

[14] Henri Meschonnic, Le rythme et la lumière, Op. cit., p. 188.

[15] Francis Ponge cité par Jacques Derrida, Signéponge, Paris, Seuil, 1988, p. 113.

[16] Jean Starobinski, L’œil vivant, Paris, Gallimard, 1961, p. 10.

[17] Frédérick Tristan, Naissance d’un spectre, Paris, Seuil, 1986, 370p., p. 136.

[18] Francis Ponge, Œuvres complètes, t. I., sous la direction de B. Beugnot, Paris, Gallimard,  1999, p. 783.

[19] Jacques Derrida, « Demeures, Athènes (Nous nous devons à la mort) », dans Athènes à l’ombre de l’Acropole, photographies de J.-F. Bonhomme, Athènes, OLkos, 1996, p. 63.

[20] Jorge Luis Borges, « Le jour se lève », Extrait de Fervor de Buenos Aires, 1923, trad. Gonzalo Estrada et Yves Peneau, cité dans Borges, Cahier de l’Herne, Paris, Éditions de l’Herne, 1981, p. 65.

[21] « Dans l’aperçu géographique a été déjà indiqué d’une façon générale le chemin que suit l’histoire universelle. Le soleil se lève à l’Orient. Le soleil est la lumière et le rapport simple et universel à soi-même, donc l’Universel en soi. Cette lumière en soi universelle en tant qu’individu, en tant que sujet, est le soleil. […] L’histoire universelle va de l’Est à l’Ouest, car l’Europe est véritablement le terme et l’Asie, le commencement de cette histoire. Pour l’histoire universelle il existe un Est par excellence, χατ’έξοχήν, bien que l’Est soit pour soi quelque chose de tout à fait relatif : en effet, quoique la terre forme une sphère, l’histoire cependant ne décrit pas un cercle autour d’elle ; elle a bien plutôt un Est déterminé qui est l’Asie. Ici se lève le soleil extérieur, physique, et à l’Ouest il se couche, mais à l’Ouest se lève le soleil intérieur de la conscience de soi qui répand un éclat supérieur. L’histoire est l’éducation par laquelle on passe du déchaînement de la volonté naturelle à l’Universel et à la liberté subjective. », Georg Wilhelm Friedrich Hegel, la Raison dans l’Histoire, trad. K. Papaioannou, p. 279-280, cité par Jacques Derrida, « La mythologie blanche », Poétique, Op. cit., p. 50.

[22] Michel Nuridsany, Dialogues de l’ombre, Paris, Editions des musées de la Ville de Paris, 1997.

[23] Jun’ichirô Tanizaki, In’ei raisan, Tokyo, Orion Press, 1933.

[24] Jun’ichirô Tanizaki, Éloge de l’ombre, traduit du japonais par René Sieffert, Paris, Publications Orientalistes de France, 1977, p. 103.

[25] Ibid., p. 56.

[26] Ibid., p. 54.

[27] Sei, la nature, la qualité, le caractère ; kan, sentir, éprouver.

[28] Jun’ichirô Tanizaki, Op. cit., p. 42.

[29] Ibid., p. 42.

[30] Ibid., p. 52.

[31] Ibid., p. 42.

[32] Ibid., p. 45.

[33] Rappelons-nous que la distinction entre arts et arts décoratifs n’a pas lieu au Japon.

[34] Jacques Fontanille, « La patine et la connivence », Protée, vol. 29, N°1, 2001, p. 30.

[35] Jun’ichirô Tanizaki, Op. cit., p. 34.

[36] Alcôve.

[37] Jun’ichirô Tanizaki, Op. cit., p. 59.

[38] Jun’ichirô Tanizaki, Ibid., p. 77.

[39] Ibid., p. 52.

[40] Ibid., p. 21.

[41] Ibid., p. 77.

[42] Ère Meiji : 1868-1912 ; Ère Taishô : 1912-1926 ; Ère Shôwa : 1926-1989.

[43] Jacques Fontanille, Le Ralentissement et le rêve, A propos de L’Éloge de l’ombre de Tanizaki, Nouveaux Actes Sémiotiques, PULIM, 26-27, 1993, p. 13.

[44] « En fait, la beauté d’une pièce d’habitation japonaise, produite uniquement par un jeu sur le degré d’opacité de l’ombre, se passe de tout accessoire. L’occidental, en voyant cela, est frappé par ce dépouillement et croit n’avoir affaire qu’à des murs gris dépourvus de tout ornement, interprétation parfaitement légitime de son point de vue, mais qui prouve qu’il n’a point percé l’énigme de l’ombre », Junichirô Tanizaki, Éloge de l’ombre, Op. cit., p. 52.

[45] Ibid., p. 29.

[46] Ibid., p. 30.

[47] Jacques Dupin, « Soleil substitué », L’Éphémère, Paris, Éditions de la Fondation Maeght, N° 19-20, 1972-1973, p. 458.

[48] « …Je suis émerveillé de constater à quel point les Japonais ont pénétré les mystères de l’ombre, et avec quelle ingéniosité ils ont su utiliser les jeux d’ombre et de lumière. Et cela sans recherche particulière en vue de tel effet précis. […] Tout compte fait, quand les Occidentaux parlent de « mystères de l’Orient », il est bien possible qu’ils entendent par là ce calme un peu inquiétant que secrète l’ombre lorsqu’elle possède cette qualité-là. », Jun’ichirô Tanizaki, Op. cit., p. 56-57.

[49] « Comme toute culture magique que des hiéroglyphes appropriés déversent, le vrai théâtre a aussi ses ombres ; et, de tous les langages et de tous les arts, il est le seul à avoir encore des ombres qui ont brisé leurs limitations. Et, dès l’origine, on peut dire qu’elles ne supportaient pas de limitation. Notre idée pétrifiée du théâtre rejoint notre idée pétrifiée d’une culture sans ombres, et où de quelque côté qu’il se retourne notre esprit ne rencontre plus que le vide, alors que l’espace est plein. », Antonin Artaud, Le Théâtre et son Double, Paris, Gallimard, coll. Folio essais, 1964, p. 18.

[50] Tatsumi Hijikata, cité par Jean Viala, Nourit Masson-Sékiné, Butoh. Shades of Darkness, Tokyo, Shufunotomo Co, 1988, p. 188.

[51] Emmanuel Levinas, Totalité et infini, essai sur l’extériorité, La Haye, M. Nijhoff, 1961, p. 129.

[52] Philippe Jaccottet, La semaison, Carnets 1954-1979, Paris, Gallimard, p.26.