couverture

Danser n’est pas jouer ? La performance intégrale de la commedia dell’arte1

Danse et Littérature : sur quel pied danser ?, dir. Edward Nye, Amsterdam / New York, Rodopi, 2005, p. 51-72.





Miracle italien du XVIe siècle, la séduction et l’ascendance de la commedia dell’arte sont remarquables : en Europe, son influence2 – « immédiate et sans précédent »3 – déborde les cadres qu’une certaine critique pseudo historicisante lui assigne communément, celle qui autorise les contentements commodes des manuels de lycée. Mobile, turbulente, volontiers indécise, la commedia dell’arte opère une véritable contamination générique du théâtre européen. Aux canons de la scène liturgique du Moyen Âge – louer et illustrer un culte donné par des prêtres pendant les offices – elle oppose une esthétique davantage profane et comique. Son hétérodoxie composée de charades, de fragments de l’Arioste ou du Tasse, d’idiolectes italiens, de danses,  de morceaux joués, configure une nébuleuse culturelle qui n’a rien de très orthodoxe. De la sorte, cette introgression de la comédie italienne dans le théâtre européen constitue une impulsion métamorphosante qui n’aura rien de transitoire. Cette transaction n’engage pas seulement le théâtre européen – la comédie allemande et espagnole, l’arlequinade anglaise, la pantomime française, le théâtre russe et polonais4 sont influencés de concert par cette disposition italienne – mais également la peinture, la danse et la musique. Pour emprunter à des domaines aussi différents, les œuvres de Molière, Marivaux, Beaumarchais,  George et Maurice Sand, Verlaine, Meyerhold, Vakhtangov, Picasso, Gris et Severini, Braque, Derain, Metzinger, Ravel, Rouault, Léger, Brecht, Schoenberg… jusqu’à Stravinsky et son Pulcinella sont traversés par le souvenir d’un théâtre italien d’autant plus influent qu’il est perdu. Pas étonnant alors que ce phénix dell’arte renaisse en période de crise. Au point sans doute d’aboutir à quelques méprises et, en 1968, Evert Sprinchorn note à juste titre :


When the thoroughly rehearsed, minutely directed naturalistic play attained its fulfilment about the time of the First World War, a reaction set in and directors rediscovered the world of the Commedia with its gaudy colours, its frankly theatrical and often grotesque masks or types, the vigorous presence of the actor… and the virtual absence of any troublesome playwright. The Commedia provided a total theatre in which colour, … music, and acrobatics contributed to the overall effect. It was a circus with a plot, and compared to it the realistic theatre seemed a pale fragment of lost art.5


Les personnages dell’arte sont pareillement mythifiés et infiltrent indifféremment l’imaginaire social et les avant-gardes. Au début du siècle, Apollinaire consacre un essai au théâtre italien6 et intronise Arlequin en métaphore du texte comme acrobatie, c’est-à-dire en figure de la modernité : un personnage libre et libertaire, dégagé des conventions, joueur et jouissant sur le vide, plein d’une énergie physique et en même temps foncièrement métaphysique. Ce détour par la commedia dell’arte constitue précisément une métaphore. Il y a un mythe de la commedia dell’arte, une nostalgie de l’archaïque, une conscience à la fois affective et esthétique, « une image riche et confuse d’une galerie de fragments qui semblent provenir d’un grand spectacle unique, jamais décrit et mystérieux »7 dit Taviani. La postérité du théâtre des Italiens est sans doute au prix de quelques malentendus : le fantasme d’une mimèsis absolue, le mythe de l’improvisation, la prééminence du geste sur la parole sont autant de lieux communs qui parasitent l’intelligence de cette disposition. En revanche, depuis plus de quatre siècles – quand bien même elle n’a plus lieu – la commedia dell’arte semble reconduire le dieu de son désir, celui « où se reconstruit, à ciel ouvert, sa propre scène dans sa propre histoire archaïque qui n’intéresse que lui et transforme chaque exercice de danse en avatar de son mythe. »8 

Si l’on convient que l’une des caractéristiques fondamentales du signe est son aptitude à stimuler des interprétations, dans ce domaine la commedia dell’arte n’a jamais souffert aucun déficit. Cette enfance du théâtre est une jeunesse du corps dont des siècles de civilisation se sont efforcés d’effacer la trace. Mais le corps fait mémoire, et le libérer c’est délivrer cette nature. Pour le critique, la danse ne dit pas l’origine de la littérature – elle n’est pas originaire – ce qu’elle indique c’est la mémoire du corps9. Elle ne dit pas le destin de l’humanité, en premier lieu elle n’exige pas l’anthropologie ou la sociologie, pas même une poétique, son intervention est plus modeste… mais intervient comme un effet de sourdine pour rappeler le corps en mouvement, capté par la sémiosis. Dans la commedia dell’arte la danse n’est pas un système sémiotique secondaire, elle ne constitue pas un recours anecdotique. La moresque, le branle, l’allemande à rythme binaire dont Thoinot Arbeau indique qu’elle est « pleine de médiocre gravité » ou encore la pavane à rythme ternaire ne constituent que quelques figures d’un répertoire varié. La danse est la règle. D’où un embarras certain de la critique. Le sens et la valeur que l’on accorde à un texte dépendent de la réponse qu’on apporte à la question de son origine. On ne peut pas partager les différentes valeurs éthiques véhiculées par l’œuvre de l’art de la valeur qu’on peut lui attribuer en tant qu’œuvre de l’art. Le jugement esthétique se fait au prix d’un jugement éthique, le jugement littéraire est au prix d’un jugement culturel méta-littéraire. Or, la gestualité promeut un mode de signifiance dévalorisé par la civilisation occidentale : depuis quatre siècles, le discrédit attaché à la commedia dell’arte est un discrédit généralisé porté à des dispositifs sémiotiques dits secondaires. La commedia ne répond certes pas à une simple praxis représentative, elle ne consacre pas non plus le modèle linguistique ou textuel. Trop instruite par le médiéval, elle n’est pas non plus radicalement moderne. Elle est médiane. Elle puise dans un fond de représentations populaires de la danse, de la fête, du folklore qui n’arrache toujours que très peu de considérations. Pour le moderne, sa rencontre manifeste toute l’étrangeté d’une réminiscence d’enfance : l’idée d’une connivence, un proche inaccessible, un lointain immédiat qui manifeste l’inattendu d’une différenciation dont on ne sait au préalable de quoi elle se constituera.


La naissance de la commedia dell’arte se précise dès la fin de la première moitié du XVIe siècle en Italie. Le premier contrat d’une compagnie date de 1545 à Padoue. En quelques décennies, de nombreuses compagnies d’acteurs professionnels s’organisent avec l’objectif avoué de vivre et de faire commerce de leur art sur des scènes de fortune, en plein air ou dans des théâtres aménagés. Ce mouvement est particulièrement sensible dans le nord de l’Italie mais également en Europe de l’Ouest et en Espagne. La création théâtrale passe d’une économie de fête à une économie de marché. Désormais, le théâtre est un produit culturel, un objet de commerce qui répond à des attentes particulières et qui ambitionne de satisfaire un public10. Selon la formule de Taviani, la troupe dell’arte est placée sous « le signe de Mercure11 ». Elle s’organise selon une hiérarchie interne, comme une entité économique et bureaucratique mercantile. Elle s’ajuste sur plusieurs saisons successives et engage des comédiens de façon plus ou moins ponctuelle :


The carefree life of travelling comedians, dividing the takings at the end of the day, had to come to terms with the world of engagement diaries and cash flow charts. Undoubtedly the moment when companies began performing indoors was the most significant step in the movement towards the privatisation of the theatre, or the transition from l’economia della festa to l’economia di mercato: it was the moment in which theatre indisputably became a commercial business, selling its products to whoever could be persuaded to buy them: la vendita del teatro, as Professor Ferrone has called it.12


Ces troupes itinérantes composées de dix à vingt acteurs parcourent l’Europe en déjouant l’hostilité des gouvernements espagnol et français qui dès la fin du XVIe siècle essayèrent de censurer ce répertoire13. Malgré une audience croissante et un accès relativement public, la commedia dell’arte est menacée de basculer dans la clandestinité. À la mobilité géographique répond donc la mobilité textuelle du répertoire : l’unique du texte fait défaut. La commedia dell’arte n’est pas au rendez-vous de la loi prévoyant sa transgression et sans doute l’identification de son corpus est tout autant problématique que l’idée d’une théorie unifiée de sa dramaturgie. Au censeur comme au critique littéraire, l’objet manque. Cette « fugitivité » ou « variabilité » du texte accuse le désarroi de la censure que résume ainsi Paleotti, cardinal de Bologne : « Toujours ils ajoutent des paroles, des bons mots qui ne sont pas écrits ; bien plus, ils ne mettent rien par écrit, si ce n’est le sommaire ou l’argument, et le reste, ils le jouent all’improvviso14. » Au protocole génétique, ce défaut impose un défi radical. En s’instituant comme un fait potentiel, inachevé, comme possibilité et imminence, sa stratégie est de l’ordre du secret et de la performance15 : le spectacle dell’arte est essentiellement voué au singulier et traduit toujours un contenu employé dans son individualité. Ce contenu est lui-même un processus consistant à établir une corrélation nécessairement unique entre une forme et une substance. De la sorte, la performance n’actualise pas seulement le texte, elle l’invente. Son moment correspond à la médiation entre un dire et un faire, entre un projet initial et une réalisation particulière : un texte formulé lors d’une performance qui se laisse appréhender par des univers virtuels successifs qu’il projette au fur et à mesure de son déroulement. Les canevas qui initialisent la textualisation ne sont que des matrices de textes. Ils engendrent un univers qui demeure virtuel tant qu’il n’est pas actualisé par et dans la performance16. Cette modalité déictique-performative correspond à l’exigence plus ou moins respectée de la conciliation, de la virtualisation, de la réalisation et de l’actualisation. Cette stratégie est nucléaire et fractale. Les scenarii à disposition du critique sont davantage des fragments de notes, des indications scéniques faites d’ellipses, des embryons de récits qu’un texte (le texte comme unité de discours) véritablement cohérent17. On y trouve des morceaux de récits contradictoires ou de simples indications scéniques, le tout dans un style télégraphique, souvent écrit au présent de l’indicatif, c’est-à-dire au temps de la régie. À défaut d’un texte en autorité, à défaut d’auteur, il y a donc un phénomène de textualisation, un devenir texte, un work in progress qui permet de refaire chaque fois œuvre et exige un effort considérable de la critique. Il est séduction d’une résistance qui promet d’éclore à chaque mise à jour de la production signifiante. Il faut donc admettre que ce théâtre nous ne le comprenions que par formules, sans souci monologique ni intégrité sourcilleuse, sans espoir non plus d’une concorde finale. Autoriser l’infinité des parcours c’est accepter de faire danse avec le texte, comme premier niveau de la métaphore du discours de et sur la commedia dell’arte. Pratique signifiante polysémique et collective, la commedia dell’arte est aussi une formulation culturelle trans-linguistique et poly-géographique. Système transversal et pluriel, elle articule la double modalité du poly et du trans. Elle inaugure enfin le procès par lequel la profession théâtrale arrache le spectacle des cadres de la fête pour l’agréger à l’univers de la culture et des arts. En caractérisant le moment où émerge le théâtre comme profession, elle figure l’enfance du théâtre moderne. Mais cette modernité économique, marchande, culturelle envisagée par la commedia dell’arte reste placée sous les auspices de la Renaissance. La commedia dell’arte n’est naturellement pas une avant-garde et sa pratique théâtrale ne s’arrache que lentement des représentations du monde médiéval.


Cette double articulation du poly et du trans produit un effet d’hétérologie dont la règle est la mobilisation de matériaux hétérogènes18 : textes, gestes, acrobaties, chants, danses… sont convoqués et combinés au devenir texte. Deux problèmes s’imposent alors au regard de l’analyse des codes de la structure textuelle : d’un côté, leur distinction et leur énumération, de l’autre leur classification. Disons que le texte dell’arte est doublement hétérogène : il est composé de plusieurs codes et de plusieurs matières. Cette double saisie refuse la correspondance bi-univoque des deux hétérogénéités : celle des matières expressives utilisées par le texte et celle des codes qui sont présents dans ces matières. Il ne s’agit donc pas de confondre le point de vue formel-fonctionnel avec le point de vue matériel : un tel malentendu mènerait à la confusion des codes. Il faut renoncer à métamorphoser le code théâtral en Saint-Graal de l’étude sémiotique. La sémiotique doit accepter le deuil de la stratégie œcuménique qui postule une catégorie générale du signe et une classe unique d’interprétation. Il n’y a pas un code mais une pluralité de codes et sous-codes qui se combinent les uns aux autres. Le code, objet d’une appréhension herméneutique, n’est jamais qu’une procédure d’association d’un système à un autre. Il n’est pas pour autant l’unique de la signification, il représente simplement la règle qui associe les éléments d’un système aux éléments d’un autre système. Le code spectaculaire, c’est-à-dire le code qu’implique un texte théâtral, est une convention qui, dans le spectacle, permet d’associer des contenus déterminés à des éléments décidés d’un ou plusieurs systèmes expressifs. Plus un code singulier est spécifique à un aménagement sémiotique, plus il influence les matériaux dont il se constitue. C’est en ce sens qu’il peut servir d’indice à l’interprétation sémiotique, mais non de découpe mimétique entre le plan de l’expression et le plan du contenu. C’est ainsi faire le pari d’un théâtre du corps vivant, en mouvement, d’une polyphonie sémiotique qui joue au corps à corps. Pour le contemporain, la migration des pratiques sémiotiques se révèle même quelque peu confondante. L’identité de l’acteur est ainsi amalgamée à celle du danseur de corde. En 1604, Tinghi écrit dans son journal de cour : « une commédie représentée par certains Zanis sauteurs et où l’on accomplit maints sauts ». Constant Mic cite également un certain Rogna qui écrit dans une lettre datée du 1er juillet 1567 : « Aujourd’hui on joua pour la concurrence deux comédies ; l’une – dans le local où l’on donne d’ordinaire la comédie ; jouèrent signora Flaminia et Pantalon avec signora Angelica qui sait si bien sauter. » Cinq ans plus tard, en 1572, le livre des dépenses de Charles IX mentionne le salaire de l’acteur florentin Soldino et sa troupe « en considération des comédies et saults qu’il fait journellement devant Sa Majesté ». En 1873, Gandini précise enfin dans sa Cronistoria dei Teatri di Modena que le premier contrat théâtral que nous connaissions exige de l’acteur des tours acrobatiques. Ce document est conclu en 1545 entre l’actrice Marie Fairet et l’impresario l’Espéronnière19. Marie Fairet s’engage à jouer pendant une année des anciennes pièces romaines, ainsi que des farces et des « soubressaults ». Elle s’engage à exécuter tout cela de telle façon que les spectateurs puissent y prendre du plaisir. « Pour cela elle sera nourrie, logée et recevra douze francs par an. Si ces admirateurs lui offrent quelques cadeaux après la représentation, elle doit partager ceux-ci avec la femme de l’Espéronnière ». Faire sauter le corps, le faire voltiger, c’est solliciter la couche indicielle des signes. Pour la commedia, c’est faire appel à l’expression du plaisir par l’expressivité du corps. Pas étonnant alors que le geste fasse l’objet d’une valorisation toute particulière. Luigi Riccoboni note ainsi que la qualité essentielle du mime est un corps bien formé ainsi qu’une agilité innée des membres. Désormais, il s’agirait de décourager les comédiens qui n’auraient pas les dispositions naturelles pour jouer la pantomime ou pour imiter les gestes des autres comédiens : « Cosi del Comediante. Se adeguata / Non avrà figura, non imprenda / Un’Arte si gentile e delicata. »20 En fait, c’est la quasi-totalité des documents d’époque qui atteste la grande virtuosité des comédiens dell’arte, capables d’acrobaties et de chorégraphies répétées. À la différence d’un acteur traditionnel qui se propose un « modèle rhétorique basé sur l’art de l’orateur » et qui observe « les mêmes restrictions que le prêtre ou l’avocat quant aux mouvements du corps », les acteurs dell’arte, en «affranchissant le geste de l’hégémonie de la parole (écrite, M.B.) […] faisaient du geste et de la parole deux modes de communication complémentaires »21. De la sorte, le sens se coagule à différents niveaux du système grâce à des jonctions de matières signifiantes co-occurrentes. La forme est le résultat de cette connivence entre systèmes signifiants hétérogènes : – geste22 – danse – mimique – musique – s’associent les uns aux autres dans une unité composite, en une totalité, divisible certes selon la matière du signifiant, mais solidaire et interdépendante. La performance est l’espace unifié mais en procès d’une telle cybernétique inter-discursive. Dans la commedia dell’arte, du texte se produit arrangé à des actes de communication extra-verbaux. La structure spectaculaire dell’arte est le premier laboratoire sémiotique, sémantique, pragmatique du théâtre moderne. Constant Mic note encore ces quelques remarques qui nous font apprécier l’importance de la kinésique dans le procès de la signifiance :


Les acteurs italiens conservèrent ce style acrobatique jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. T. Visentini ne se contentait pas de la scène, mais allait aussi exécuter ses exercices aux étages supérieurs, en faisant le tour de la salle, ce qui, d’ailleurs, lui fut plus tard interdit, car les spectateurs s’en montraient plus effrayés qu’amusés. N. Menichelli qui vivait dans la seconde moitié du XVIIIe siècle possédait dans son répertoire une comédie intitulée Arlequin qui fait le singe (Arlecchino finto scimmioto) et où il exécutait différents tours sur une corde. G. Marliani, pendant le jour, dansait avec sa femme sur une corde sur la place St-Marc à Venise, mais le soir tous deux jouaient au Théâtre San Moise, lui, faisant Brighella, et elle – la soubrette Corallina.

Énumérant les qualités que doit posséder un acteur, Cecchini cite l’adresse du corps (destrezza del corpo), et de Sommi conseille à ceux qui jouent les rôles de valets, d’exécuter un saut gracieux lorsqu’ils apprennent soudain quelque nouvelle joyeuse. L’acrobatisme était étroitement lié au jeu même de l’acteur et contribuait pour une grande part à son succès. Ce ne fut pas seulement son talent expressif et comique qui rendit célèbre Tiberio Fiorilli, mais aussi l’adresse toute juvénile avec laquelle, à l’âge de quatre-vingt ans, il portait un coup de pied au visage de son partenaire.23


Cette propension naturelle à exprimer par le truchement du corps ne doit pas pour autant faire oublier que la gestualité répond d’une procédure complexe d’encodage et que la « décadence de la commedia dell’arte » est peut-être un surcroît des conventions régissant la gestualité.


On voit aussi, note Mic, qu’avec le temps le caractère naturel et spontané de ces mouvements tend à se perdre : au début le geste est expressif, direct et sincère ; mais à mesure que nous nous rapprochons du XVIIIe siècle, il se fait conventionnel, se stylise et revêt cette élégance quelque peu mièvre qui distingue les ballets de l’époque rococo. Et l’on constate cette évolution non seulement à l’étranger, mais aussi en Italie. Seul, semble-t-il, Sacco possédait cette puissance d’expression qui fit la gloire des anciens Zanis. Quant à l’Arlequin de la fin du XVIIIe siècle, avec ses pieds en troisième position, et sa main reposant gracieusement sur son batocchio, on comprend bien qu’il était destiné à être reproduit dans quelque manufacture de porcelaine pour orner ensuite les boudoirs du faubourg Saint-Germain.24


La « décadence » de la commedia dell’arte serait ainsi signifiée par le glissement de la structure prototypique à l’emploi stéréotypique du geste. À la façon de Courtine – le passage de la marque au signe :


Il semble soudain que le corps ne pare plus un langage naturel et aussitôt accessible ; qu’il ait perdu son sens premier, son innocence littéraire, en se chargeant d’une lisibilité plus réglée, plus abstraite, mais aussi plus rigoureuse. Et tandis que le regard se pénètre d’une distance nouvelle, l’indice paraît se détacher du corps morphologique où il était inscrit comme marque. Il semble –littéralement – se désincarner : la marque devient signe et cesse de se confondre avec les traces morphologiques portées par l’épiderme. Avec l’éloignement du regard et de la désincarnation du signe, c’est le régime tout entier des perceptions et des visibilités corporelles qui se modifie : on ne lit plus sur le corps l’inscription gravée d’un texte, mais on y voit jouer les règles articulées d’un code.25


C’est ce régime du pré-signifiant que la commedia dell’arte exploite volontiers : elle montre le moment de la signification, plutôt qu’elle ne délivre un sens déjà tout fait. Elle est l’avènement d’une signification, le lieu d’un engendrement. Elle pose donc la problématique persistante d’un devenir. Dans ce dispositif, tout système extra-verbal est connexe au processus de la sémantèse, mais cette sémantèse constitue précisément une transgression des dépôts traditionnels du sens. D’abord, parce que le sens doit traditionnellement répondre d’un énoncé plutôt que d’une énonciation ; d’autre part, parce que cette sémantèse s’élabore à partir d’un double fonctionnement : d’une part, elle instaure des réseaux de connexion puissants entre les matières et les systèmes signifiants, elle est donc une manifestation de l’hétérogène qui se fixe dans la forme – qui se formalise en un sens – ; d’autre part, elle est une puissance de dissolution ou de perturbation du symbolique. Elle donne accès à un mode de pensée essentiellement transgressif, schizé entre la représentation et la contestation de la représentation, le jeu et la mort, la nature et la culture. Ce théâtre occupe donc une position médiane : il exprime trop ou trop peu de contenu pour être métaphysique, mais il en exprime suffisamment pour être social. Il offre donc l’accès à un mode de pensée contestataire, mais dont la continuité compensatrice ne se dément pas. La commedia dell’arte, sa vigueur, oscille entre deux bornes : d’un côté, elle célèbre le corps en mouvement, proche des rythmes naturels et dont l’expressivité des gestes n’est qu’un élément appareillé à la production de sens ; d’un autre, elle tend à codifier (répéter) la gestualité qui supporte et alimente le frayage de l’énonciation et la possibilité symbolique. D’abord parce que le texte lui-même passe par le corps, ensuite parce que le corps lui-même tend à se constituer en texte, la mesure de tout discours est la prise en compte d’une position subjective comme double saisie d’un maintien dans le langage et d’une exposition du langage dans le corps.

À défaut d’un texte – l’unique du texte – capable de restituer la performance, les gravures d’époque sont précieuses à la critique27. Par exemple, la Bibliothèque de l’Opéra de Paris possède un exemplaire imprimé du scénario La Folle supposée, joué par les Italiens au Petit-Bourbon, en 1645, d’après la pièce de Strozzi. Il existe aussi vingt estampes de danses créées par Giovanbattista Balbi et exécutées dans les intermèdes de ce spectacle. Elles sont gravées par Valério Spada. Il faut également compter sur les fresques, les almanachs et autres recueils. Ces gravures mettent presque toujours en relief les mimes dansant, des gestes rythmés ou des pas de danse. Avec les altérations qui leurs sont propres, les dessins de Callot reproduisent même certaines danses de la première époque, celle des histrions du Moyen Âge28. Héritiers des jongleurs médiévaux et des bouffons, les comédiens dell’arte introduisent effectivement des danses traditionnelles comme la moresque ou le mattaccino dans la performance. Cette introduction se rattache à des représentations populaires de la danse et de la fête qui sont au cœur de la société médiévale. Elle confère au jeu théâtral les ressources d’un fond historique médiéval : l’expression du fantastique, du grotesque, du rire, du carnaval alterne avec la libre création artistique. Ces exemples de danses s’insèrent dans le système diégétique des canevas. Ceux-ci contiennent des duos ou des quatuors de personnages. De même que les répliques sont concertées, gestes et postures se trouvent appareillés et concourent au rythme dramatique. Isabella Servili, célèbre comédienne de l’Arte, figure bien cette intersection des compétences et des emplois puisqu’elle est à la fois danseuse et chanteuse. En fait, tous les comédiens, quel que soit leur emploi, savent danser. De nombreux scenarii prévoient des danses, au même titre que certains passages chantés. Par exemple, dans le scénario de Scala, Il vecchio geloso, un emploi récurrent de la musique, de la danse et du chant est consacré. Ainsi, au deuxième acte ce sont


trois  gueux mal vêtus, avec leurs instruments de musique, de ceux qui vont d’une campagne à l’autre en jouant et en chantant pour gagner de quoi vivre ; ils font entendre leurs instruments ; sur ce […] tous se mettent à danser, tantôt l’un avec l’autre, ainsi qu’on le fait avec les femmes ; en plein milieu de la danse, Orazio prend congé de la compagnie, annonçant qu’il est obligé de se rendre chez Tofano, et s’en va. Buratino va chercher son instrument de musique, puis ils renvoient les musiciens ; Flavio les paye ; ils s’en vont. Buratino veut que tous aillent se promener avec lui, il jouera de la musique […] on se met ensuite à danser la danse du guetteur tandis qu’Isabelle prie Orazio de prendre son luth, ou sa théorbe, et de chanter quelques-unes de ses mélodies à la romaine, afin de ravir la compagnie. Orazio, enchanté, envoie Pedrolino chercher l’instrument. […] Orazio entre en chantant, suivi de toute la compagnie…29


Cette insertion répond sans doute aux attentes du public : en intercalant ainsi des divertissements choré-graphiques, le spectacle est rendu plus festif. Mais c’est précisément ce divertissement du corps qui suscite les critiques et excite la censure. Ainsi, le père Bianchi fulmine contre « les ballerines qui dansaient en compagnie des hommes dans les théâtres et qui, par les mouvements de leurs corps, de leurs visages et de leurs cous, représentent certaines actions qu’on ne pourrait pas décrire honnêtement avec des mots. » Thoinot Arbeau stigmatise de la même façon les « grand pas et ouvertures de jambes » :


Ces voltes et aultres dances lascives et esgarées que l’on a amené en exercice, en dançant lesquelles on faict bondir les Damoiselles de telle mode, que le plus souvent elles montrent à nud les genoulx, si elles ne mettent la main à leurs habits pour y obuier. […] La volte, de sa part, mettra sa main droicte sur vostre dos ou sur vostre collet et mettra sa main gaulche sur sa cuisse pour tenir ferme sa cotte ou sa robbe, afin que cueillant le vent elle ne monstre sa chemise ou sa cuisse nue… Et après avoir tournoyé par tant de cadances qu’il vous plaira, vous restituerez la damoiselle en sa place, ou elle sentira (quelque bonne contenance qu’elle face) son cerveau esbranlé, plan de vertigues et tournoyements de testes et vous n’en aurez peultestre pas moins. Je vous laisse à considérer si cest chose bien séante à une jeune fille de faire de grand pas et ouvertures de jambes : et si en ceste volte l’honneur et la santé y sont pas hazardez et interessez.30


À la dépréciation contre-réformiste s’oppose aussi un courant plus partisan et dont les motivations varient selon les époques et les interprétants : au XVIIe siècle, on exalte volontiers la commedia dell’arte comme théâtre d’action ; au XVIIIe siècle comme jeu d’improvisation ex nihilo ; au XIXe siècle en « tant que démonstration emblématique de l’éphémère et de l’inconnaissable sentiment du théâtre, qui épuise son rapport et sa signification dans le moment de l’interaction acteur-spectateur31 ». Mais au XVIe siècle, le théâtre dell’arte est très concrètement menacé par l’Église32 inquiète que le théâtre détourne et confisque son propre public. Comme dans toutes les crises de la légitimité – du crédit – c’est l’économie symbolique qui est visée. Le mode de vie des comédiens est ainsi accusé d’être l’image de l’antisociété, de la dépense, de l’irruption des pulsions dans la vie sociale, du retour à l’anarchie propre à la fête. Il est l’image d’un désordre dommageable pour l’ordre moral et économique : « les comédiens professionnels sont dommageables à la population de nombreuses manières, parce qu’ils font sortir de la ville une assez grande quantité d’argent et donnent occasion aux jeunes gens et aux enfants de voler de l’argent à leurs parents pour payer la comédie ; ils fuient ensuite l’école et la boutique et ils introduisent partout de mauvaises mœurs. »33 Ce qu’il importe de relever ici c’est que l’accusation d’obscénité incrimine la dépense et sa mise en scène du corps, du « non-dit », du « refoulé », du malentendu. L’obscène signale obliquement ce que le langage ne peut objectiver : son vouloir-dire. Ignoré de l’ancien français, et même du latin médiéval, le mot n’apparaît d’ailleurs qu’à la Renaissance, toujours rivé à une dépréciation référentielle. Mise en scène de la parole et du corps dans ce qu’il a de conjectural, de symptomatique et d’obvie, l’obscène est au sens propre un monstrum, instance de pure désignation qui « monstre » ce qui, dans la langue, échappe à toute représentation. Il indexe « l’équivoque fondamentale du langage en ce qu’elle ne peut incriminer – à l’instar de la honte – son objet autrement que par prolepse ou analepse, objet qui dès lors se dérobe comme lieu du discours impossible à médiatiser ». L’obscène dont la commedia dell’arte est accusé serait-il le processus même de la figurabilité ? Le démantèlement du système théologique ? Pas étonnant dès lors que la condamnation de la commedia dell’arte porte toujours sur son ob-scénité, c’est-à-dire sur la modélisation théâtrale du discours. En somme, ce que la Contre-Réforme reproche à la commedia dell’arte, c’est sa structure spectaculaire. L’obscénité de ce dispositif c’est le dispositif lui-même : l’instance performative qui vise l’irreprésentable du discours.

À l’intérieur de la pluralité des systèmes signifiants se produisant dans le spectacle dell’arte, si une place particulière est réservée à la danse, celle-ci est toujours soutenue par la musique.  Mario Apollonio, Duchartre, Angelo Solerti et Irène Mamczarz ont essayé d’aborder ce sujet avec toute la diplomatie que réclame la critique lorsque les documents font parfois défaut. Les rapports de la commedia dell’arte avec la musique, et en particulier avec l’opéra, sont encore mal connus. Diverses formes musicales sont adaptées aux spectacles dell’arte : depuis certaines frottole aux madrigaux « à la mode de Padoue »34 que chantent vers 1520 les acteurs de la compagnie de Ruzzante, des Villotte35 du style de celles d’Azzailo aux formes plus sophistiquée des morceaux d’opéra. Plusieurs fresques représentent les comédiens de l’Arte jouant des instruments de musique. La guitare et la mandoline remportent la faveur des acteurs. Les comédiens Calmo et Ottavio jouent tout aussi bien de l’orgue, guitare, cymbalum, flûte, harpe, hautbois. Notons aussi que Flautino (Ghérardi père) jouit d’une phoné mimétique et imite toutes sortes d’instruments en s’accompagnant de sa guitare. Brigitte Bianchi ainsi que la quasi-totalité des femmes chantent et dansent en s’accompagnant de la guitare et du violoncelle. Une grande partie de la musique des fêtes de la Renaissance est composée pour les comédiens dell’arte. Pour emprunter deux exemples : Angelo Michele de Bologne et le Marc-Antoine dont parle du Bellay forment à Gênes une societatem insimul recitandi comedias, promettant aux acteurs de se produire « jouant, chantant, dansant ». Andrea Perrucci à qui l’on doit le traité Dell’arte rappresentativa, premeditata ed all’improvviso prescrit des intermèdes en musique, ballets ou intermèdes comiques à la fin de chaque acte :


Finito ogni atto si deve suonare o farsi qualche ballo ed alle volte intermedi ridicoli, de’quali dirassi qualche cosa, essendo stato il suono nella fine degli atti introdotto invece dei cori e questo servirà per riposo de’rappresentani e per diletto degl’uditori.36


Souvent, plusieurs instruments de musique se combinent entre eux, mais il ne s’agit pas d’une règle. Ici, ce sont les compétences particulières de chaque comédien qui se trouvent sollicitées. Enfin, la mutation socio-économique qui régit la commedia dell’arte – qui fait d’elle une institution indépendante, mercantile, financièrement décidée c’est-à-dire déterminée par le pôle conatif – lui permet également d’inviter des danseurs et des musiciens virtuoses étrangers quand les compétences des comédiens de la troupe font défaut. Toutefois, ce privilège n’est réservé qu’aux troupes les plus célèbres, les Gelosi par exemple. Même si ce recours n’est pas généralisé, il suggère toutefois l’importance accordée à ces systèmes dits secondaires. Selon Andréa Perrucci :


Questi comici mercenari e cantatori recitanti, secondo la comune relazione hanno le seguenti condizioni : Sogliono esser virtuosi o nel cantar o nel sonare, o nel ballare, o nell’inventar nuovo architetture, o nel condur machine ammirabili, o nel disporre, e variar con graziosa facilita le scene, o in altre cose concernenti alla musicale rappresentazione.37


Danse et musique se conjoignent ainsi lors de la performance : il s’agit d’une convention quasi-générique soutenue par les compétences particulières de chaque comédien et concourant à la performance intégrale. L’insertion des danses, des chorégraphies et des lazzi gestuels intervient parfois comme une pause dans l’action dramatique, un peu à la manière des pauses de la description dans le récit dont parle Genette. Ces « moments » sont à la fois arbitraires et motivés : d’une part, ils n’assurent pas toujours l’efficacité dramatique, même s’ils servent presque toujours l’efficacité scénique ; d’autre part, ces « moments » sont fortement codés. Cela signifie que le spectateur identifie ces moments à des scènes de genre. Selon Adolphe Appia, plus il y a d’éléments dans une œuvre, plus celle-ci a des chances de paraître cohérente. Ainsi la combinaison de la musique avec la danse, avec le geste et le mot, dévoile la danse comme une activité musico-expressive du corps humain, et comme une pantomime, dans laquelle cette activité devient compréhensible. Ainsi, le rythme de la parole, qui conduit à la parole récitée ou chantée ; le rythme du geste qui génère les mouvements du corps, le mime et la danse se conjoignent dans le système de la performance. De cette façon, un geste peut donner à entendre un texte et réciproquement. « Finalement, note Claude Bourqui, à prendre la question dramaturgique de plus loin, on peut présenter la commedia dell’arte comme un théâtre qui procède, en matière de « disposition », par agencement plus que par composition. Agencement, c’est-à-dire ordonnation des unités sur des critères élémentaires de commodité : les péripéties se mettent en place dans l’ordre le plus naturel, corrigé par des impératifs externes comme la disponibilité de tel acteur à tel moment de la représentation, la mise en place d’une machine ou l’insertion d’un ballet ; on parlerait de composition, par contre, dans le cas où la disposition serait élaborée sur le critère d’un effet d’ensemble subsumant les divers éléments. »38 Soit la distribution suivante :

Performance / Texte Global

Et l’adoption du schéma proposé par Cosnier et Brossard39 :

Représentations mentales / Affects

Tout spectacle est fondé sur la véhémence intersémiotique40, mais il faut dire davantage. Le théâtre, remarque Barthes dans ses Essais critiques, est le lieu d’une « polyphonie informationnelle » où s’opère la transmission de messages multiples, différents par nature, simultanés mais transmis par des rythmes spécifiques. Le spectateur est donc confronté à une « polyphonie informationnelle », c’est-à-dire à la combinaison de plusieurs canaux d’informations qui lui parviennent simultanément, constituant cette « épaisseur du signe » qui constitue l’essence même de la théâtralité par opposition à la « monodie littéraire » qui, elle, n’utilise que le code de la langue écrite. Toute représentation est un acte sémantique fort. Toutefois, entre le texte, le théâtre et le spectacle, la légitimité n’est pas la même. Et Pavis remarque à juste titre que le « spectacle prend une signification toujours péjorative, face à la profondeur et à la permanence du texte. »41 Spectaculaire et théâtral exprimeraient une essence inférieure et ne seraient pas des gages de la littérarité d’une expression. Le spectacle désignerait simplement une réalité d’ordre phénoménologique entachée à la représentation – c’est-à-dire à l’instance performative –, alors que le théâtre relèverait d’un genre, de canons littéraires en vertu desquels il serait possible d’établir une hiérarchie des textes, de les classer en corpus et de juger leur valeur. Cette acception est dominante depuis trois siècles, c’est-à-dire depuis le classicisme français, et même l’intervention récente des sémiologues a fait les frais d’une telle tradition. Ainsi Barthes dans sa préface aux projets de théâtre de Baudelaire qui utilise le concept de théâtralité pour confirmer la distinction historique de la théâtralité et du texte :


Qu’est-ce que la théâtralité ? C’est le théâtre moins le texte, c’est une épaisseur de signes et de sensations qui s’édifie sur la scène à partir de l’argument écrit, c’est cette sorte de perception œcuménique des artifices sensuels, gestes, sons, distances, substances, lumières, qui submerge le texte sous la plénitude de son langage extérieur.42


Nous suivons donc la remarque de Guy Spielmann : 


… Il suffit de s’écarter du théâtre au sens le plus strict pour que ce modèle devienne inopérant ; s’il existe bien des textes associés à pratiquement toutes les pratiques spectaculaires, ils offrent une variété de formes qui, dès lors qu’on s’abstient de les juger inférieures parce que non-littéraires, nous permettent d’abolir la primauté incontestée d’un type textuel sur un autre, et surtout de réfléchir sur la notion du texte. Qu’il s’agisse de la fête, du Carrousel, de la commedia dell’arte, du ballet de cour ou du premier théâtre forain, nombre de représentations ne reposent pas sur un texte « à réciter » exactement, même si un texte existe, non plus qu’elles débouchent a posteriori sur un texte transcriptif du discours. En réalité, la relation de spectacle est un genre en soi, qui ne relève ni ne prétend relever d’un effort de transcription exacte ; si l’on donne éventuellement le détail des répliques qui ont été prononcées, c’est secondairement à la description d’ensemble – qui relate moins que ce qui a été vu que ce qu’il y avait à voir, et ne s’assimile donc pas au témoignage.43


Dans l’histoire de la littérature européenne, c’est-à-dire dans l’histoire de l’idéologie littéraire, la commedia dell’arte est tout naturellement perdante. Précisément parce qu’elle offre une forme qui est moins composée que disposée. Précisément parce qu’elle présente plusieurs matières et plusieurs dimensions, outre plusieurs codes, la textualité dell’arte offre une série de niveaux textuels discriminés matériellement, historiquement et esthétiquement : gestualité, scénographie, musique… À défaut de prétendre à la littéralité, la commedia dell’arte serait reléguée au domaine du théâtre. Puis à défaut de prétendre au théâtre, elle serait reléguée au patrimoine du texte. En fin de course enfin, à défaut du texte, il ne lui resterait plus que le spectacle. Guy Spielmann a très justement analysé la coupure esthétique et épistémologique entre spectacle et théâtre :


La démarche classique vise en effet à tirer le théâtre vers une poétique, c’est-à-dire à placer au centre de l’activité dramatique non pas la représentation, domaine des acteurs, ni moins encore la mise en scène, domaine des décorateurs, mais la composition, qui appartient en propre à l’auteur. Nombre de choix esthétiques et de règles découlent de ce décentrement du spectacle vers le Logos, à la fois langage et, pour reprendre le terme de Barthes, intellection ; remarquons qu’on retrouvait dans ce parti pris la défiance cartésienne envers les sens, et en particulier la vue, si trompeuse, et la dérive vers un dualisme qui recoupe et renforce la dichotomie déjà évoquée : le spectacle relèverait du corps, le théâtre de l’esprit.

L’aboutissement du processus consiste à affirmer une coupure proprement ontologique : « cirque, mime, prestidigitation, marionnettes ou danse… [le spectacle] se définit toujours comme ce qui donne à voir, alors que le théâtre est un lieu où l’on fait plus que montrer. Mettant en jeu un processus d’identification et un retour vers une possession plus ou moins décidable, il établit quant à lui un rapport avec l’immortalité.44


Le théâtre « où l’on fait plus que montrer » ne représente pas seulement la communication discursive des situations dans lesquelles quelqu’un dit ou chante quelque chose à quelqu’un d’autre. Si les différents systèmes signifiants se combinent les uns aux autres et participent d’une façon ou d’une autre à l’efficace dramatique, il faudrait peut-être proposer un modèle d’indépendance de ces systèmes. L’analyse serait tentée de croire que la musique, la danse ou le simple corps reflètent les actions des actants et, à partir de là, opérer la distinction entre thèmes-objets, thèmes-sujets, thèmes-adjuvants… Peine perdue. Bien sûr, la danse peut se produire de façon indépendante, comme la musique ou le mime, mais le spectacle est un dispositif : une unité organique et disposée qui rive l’événement des segments à l’ensemble des dispositifs sémiotiques. Cela signifie que derrière la musique, la danse, le discours, le geste45, se discerne un facteur qui n’est réductible ni à la syntaxe ni à la grammaire. Ce facteur est peut-être bien une modalité. Par modalité, Greimas désigne toutes les intentions par lesquelles l’émetteur qui élabore un énoncé peut colorer son discours. Les modalités constituent les agents de certaines positions évaluatives à l’égard du contenu d’un énoncé. Les articulations modales sont créatrices de forme, si la forme est interprétée comme l’état de tension qui existe à l’intérieur de la configuration externe manifeste. Pour le critique, il est cependant dérisoire d’essayer d’isoler les modalités du spectacle seulement par induction, c’est-à-dire en rassemblant tous les types d’énoncés modaux. Si, au contraire, le critique préfère une démarche déductive, les catégories modales pourraient-elles s’appliquer à des systèmes secondaires sans sacrifier à un structuralisme ? Désormais, préciser un transfert d’une considération du texte (écrit) comme spectacle à celle du spectacle comme texte (sémiotique), puis comme théâtre et littéralité rassemblera toutes les forces de la critique46. L’héritage de la commedia dell’arte est aussi une enfance – un programme vital – : la convocation des différents arts comme condition d’invention de la littérature. Si la collusion de la danse avec les autres textes ne diminue pas le spectacle, pourquoi diminuerait-elle la textualité ou la littérarité alors même qu’elle indique peut-être la propre fondation de la littérature ? Engager cette critique à rebours n’est pas seulement une façon de désapprendre le malentendu moderne47 – la condition, pour nous, de rester vivant donc – mais également une façon de jouissance de la culture que ni la bureaucratie littéraire ni le budget culturel ne peuvent administrer.



Olivier Sécardin

Paris-IV Sorbonne, University of Chicago





Notes

⇑ Remonter



[1] Mes remerciements à Sylvain Détoc sans qui ce texte serait resté lettre morte.

[2] La base de données Frantext entretenue par le CNRS, par exemple, relève 31 occurrences de ce terme, avec un panel d’auteurs très différents : de Copeau à Claudel, en passant par Paul Morand, Albert Thibaudet, Georges Duhamel, Michel Leiris, Jean Vilar, Derrida, ou encore Jean d’Ormesson.

[3] R. Lebègue, « Premières infiltrations de la commedia dell’arte dans le théâtre français », Cahiers de l’association international des études françaises, N°15, 1963, p. 167.

[4] Notons qu’il n’y a encore que très peu d’années la seule anthologie de canevas de la commedia dell’arte publiée dans les pays de l’Est se trouvait en Pologne. « La commedia dell’arte renaît une fois de plus au théâtre de la rue Arbet, à Moscou, en 1922, témoignant d’une longue présence, et de celle de son mythe, sur la scène des réformateurs du théâtre russe, Meyerhold en tête. Le premier véritable séjour en Russie des comédiens de l’Art remonte à 1733. Cette année-là, entre deux voyages en Pologne, un groupe de comédiens était parvenu jusque devant l’impératrice Anna Joannovna. L’origine du poids énorme qu’aura le mythe de la Commedia dell’arte sur tout le théâtre post-révolutionnaire ne se situera pourtant ni dans ce voyage ni dans ceux qui lui succéderont, mais dans la grande influence et la vaste diffusion de l’œuvre de Carlo Gozzi. […] Les études occidentales s’interrogeront sur les origines et les significations de la commedia dell’arte. Pour les hommes de théâtre soviétiques du début du vingtième siècle la commedia constitue, au contraire, le mythe d’un théâtre où triomphe la fusion musicale de l’ensemble. » F. Taviani, Le Secret de la commedia dell’arte. La mémoire des compagnies italiennes au XVIe, XVIIe, XVIIIe siècle, traduit par Yves Liebert, Paris, Bouffonneries, 1984, p. 74.

[5] « Lorsque les pièces naturalistes répétées de bout en bout et minutieusement mises en scène parvinrent à leur plus haut degré d’aboutissement, à peu près au moment de la Première Guerre mondiale, une réaction se produisit et les metteurs en scène redécouvrirent le monde de la Commedia, ses couleurs criardes, ses types et ses masques ouvertement exagérés, ses acteurs exubérants… ceci virtuellement sans la pénible contrainte d’un quelconque auteur. La Commedia offrait un théâtre total dans lequel les couleurs, … la musique, et les acrobaties participaient à l’effet d’ensemble. C’était un cirque doté d’une intrigue, et à côté le théâtre réaliste semblait un pâle fragment d’un art perdu. », E. Sprinchorn, G. Oreglia, The Commedia dell’Arte, Londres, Methuen, 1968, XII-XIII.

[6] G. Apollinaire, Le Théâtre italien, Paris, Mischaud, 1910.

[7] F. Taviani, Le Secret de la commedia dell’arte…,Op. cit.

[8] P. Legendre, La Passion d’être un autre. Étude pour la danse, Paris, Seuil, coll. Points essais, 1978, p. 267.

[9] En particulier W. Salmen, Tanz und Tanzen vom Mittelalter bis zur Renaissance, Hildesheim, Zürich, New York, G. Olms, 1999.

[10] L’acteur est donc moins qu’un personnage et le spectateur davantage qu’un récepteur passif. Stratégie immersive (entre scène et public) et sur-sollicitation du pôle conatif constituent les deux faces d’une même pratique. Cette conjonction est propre à l’art populaire et jusqu’à la pop culture.

[11] « Nous pouvons aussi nous libérer de l’image de la troupe de commedia dell’arte se consacrant à un seul genre théâtral ; à l’acteur sous le signe de Protée correspond la troupe sous le signe de Mercure, le dieu du commerce et de la sagesse, agité et jamais égal à lui-même. La sagesse de la troupe italienne ne vient pas, en fait, du savoir mais de l’action. », F. Taviani, « Positions du masque dans la commedia dell’arte », Le Masque. Du rite au théâtre, Paris, CNRS, coll. Art du spectacle, 1999, p. 122 ; « The commedia dell’arte companies were, after all, organised into groups. During the Renaissance, in harmony with the spirit of the times (this was the era in which the arts, trades and business began to be organised) even the theatre began to organise itself. At a certain moment, those who had been dilletanti travelling players went to a notary and constitued theatre companies with contracts.», Interview with Sergio Parini, Alcatraz News, 1 (novembre 1985), p. 15-16.

[12] « La vie insouciante des comédiens itinérants, qui partageaient les gains en fin de journée, dut prendre fin à l’avènement du monde des cahiers des charges et des tableaux financiers. Il ne fait aucun doute que le passage des troupes à des représentations en intérieur fut l’étape la plus importante du processus de privatisation du théâtre, ou de transition de l’économie de fête à l’économie de marché : c’est à cette époque que le théâtre devint indéniablement une affaire commerciale, chargée de vendre à tout acheteur potentiel : la vente du théâtre, selon l’expression du Professeur Ferrone. », M. Anderson, « Making a Room: Commedia and the Privatisation of the Theatre”, The Commedia dell’arte from the Renaissance to dario Fo, the Italian Origins of European Theatre, éd. Ch. Cavins, Lewinston, Queenston, Lampester, The Edwin Mellen Press, 1988, p. 82.

[13] Notons également l’interdiction pour les Gelosi de se produire en France. En 1571, les Gelosi donnent une représentation à la cour, d’abord à Paris puis à Nogent-le-Roy, mais le Parlement les condamne et ils s’enfuient immédiatement.

[14] « Prima ragione è : perché queste commedie, da pochi anni in qua introdotte, si vede che famo effetti in tutto contrari alla causa per la quale anticamente furono introdotte le commedie, cioè per notare i vizi ed aiutare i costumi, e queste piuttosto li corrompono. Seconda. Perché questi che le rappresentano per l’ordibario sono vagabondi e di mal nome, e conducono seco donne di mala vita, quali fanno anche recitare in commedia, e questi tali, secondo le leggi, sono riputati per infami, perché lo fanno per guadagno. […] Sesta. Si è veduto per esperienza che per il passato alcuni gentilomini si sono invaghiti di queste donne commedianti, ed hanno consumato gran parte delle loro sostanze con loro, con rovinare le proprie famiglie e con gran fatica si sono poi separati dal commercio. […] Non basta il dire che prima si rivedano queste commedie e si levi il cattivo, perché in pratica non riesce, perché sempre vi aggiungono parole o motti che non sono scritti, anzi non mettono essi in iscritto se non il sommario o l’argomento, e il resto fanno tutto all’improvviso, e il volerli poi condannare per quelli ha del difficile ». Cité par F. Taviani, La Commedia dell’arte e la società barocca. La fascinazione del teatro, Rome, Bulzoni, 1969, p. 39.

[15] En particulier T. Fitzpatrick, « Flaminio Scala’s Prototypal Scenarios : segmenting the Text/Performance », The Science of Buffoonery: Theory and History of the Commedia dell’arte, éd. Domenico Pietropaolo, Toronto, Doverhouse Editions, 1989, p. 177-198 ; Performance: from product to process, Sydney, Theatre Studies Service Unit, University of Sydney, 1989 ; The Relationship of Oral and Literate Performance Processes in the Commedia dell’arte: Beyond the Improvisation/Memorisation Divide, Lewintson, Edwin Mellen Press, 1995.

[16] « In classical theater, performance was sometimes considered as the actualization of textual virtualities. Without considering at this stage different attitudes towrds historicity (relativiszing, ignoring or respecting the original work), one shall assume that the text and the performance overlap to a certain extent : they share a common territory, that of the translation of writing into scenic signs. This view relies on an idealistic mode of communication : the text is seen a a preperformance relayed by the performance instances (director, actor, audience). Some attribure a performative-deictic value to the text, which consists in the organization of the virtualities that predetermine staging and segmentation. », A. Helbo, Theory of Performing Arts, Amsterdam/Philadelphie, John Benjamins Publishing Company, 1987, p. 46.

[17] En particulier O. Ducrot et J-M. Schaeffer, Nouveau Dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1995, p. 419.

[18] Cette permutation des régimes, la combinaison des régimes qu’elle induit est l’analogue du dispositif cybernétique que Barthes attribue au spectacle théâtral et que remarque Gustav Attinger en 1950 : « C’est une forme de théâtre bien curieuse que la comédie italienne dans cette seconde moitié du siècle : un composé d’éléments hétéroclites, assemblés pour les besoins de la cause, dont certains sont aux antipodes des autres. », G. Attinger, L’Esprit de la Commedia dell’arte dans le théâtre français, Paris, Neuchâtel, La Baconnière, 1950, p. 167.

[19] Ce document, publié dans Les Mémoires de la Société historique du Cher, 4e série, 4e vol., 1888.

[20] « S’il n’a pas un corps bien formé, qu’il n’entreprenne pas un art aussi charmant et délicat que celui du comédien. », L. Riccoboni, Dell’Arte rappresentativa…, p. 11.

[21] S. Taylor, « Le geste chez les « maîtres italiens de Molière », XVIIe siècle, 132, 1981, p. 288-289.

[22] Or, le geste, comme paramètre de la conjoncture déictique-performantielle répond au plan de l’expression, entre substance et forme (signifiant). Il faut donc s’écarter d’une systématisation trop stricte et la réduction de la performance à l’exploitation systématique de la grammaire, à la manifestation logique de la compétence linguistique.

[23] C. Mic, La Commedia dell’arte ou le théâtre des comédiens italiens des XVIe, XVIIe,  XVIIIe siècles, Paris, Pléiade, 1927, p. 122-123.

[24] C. Mic, Ibid., p. 124.

[25] J.-J. Courtine, C. Haroche, Histoire du visage, Paris, Rivages, 1988, p. 96.

[26] Cl. Gandelman, «Bodies, Maps, Texts», in : Reading Pictures, Viewing Texts, Blomington, Indiana U.P., 1991.

[27] T. Heck, « Les instruments musicaux de la commedia dell’arte : un rapport iconographique préliminaire », communication, colloque « De l’image à l’objet : la méthode critique dans l’iconographie musicale », Paris, sept 1985.

[28] Le Moyen Âge n’est pas un simple passé révolu. Sous-jacent à notre civilisation, le Moyen Âge se prolonge bien après sa construction historique à travers la conception dualiste chrétienne qui sépare le corps et l’esprit, la matière et l’âme. Le principe de cette anthropologie médiévale tient à ce que l’homme y est défini comme l’alliance des contraires, l’expansion dialectique des éléments qui le composent, en particulier de l’âme et du corps (en particulier J-C Schmitt, La Raison des gestes dans l’Occident médiéval, Op. cit., p. 18). Dans le christianisme, le corps assume une définition ambiguë. Il est prison de l’âme, vecteur du péché, de la corruption et les gestes sont négatifs dans la mesure où ils prolongent le corps. Mais ils sont positifs quand ils assument un efficace symbolique, comme le signe de la croix. En fait, si de mauvais gestes existent (gesticulatio), de bons gestes (gestus) doivent être pratiqués. Cette conception, qui considère les gestes comme signes de l’âme, se prolonge dans l’histoire de l’art et participe d’un nouvel esprit à la Renaissance. Le moto, pour l’artiste baroque, possède deux aspects : le mouvement visible et l’émotion cachée. Les moti sont des mouvements du corps aptes à communiquer ceux de l’âme, « l’affect intérieur » par « empathie immédiate » (A. Chastel, « Sémantique de l’index », Storia dell’arte, n°38-40, 1980, p. 416.).

[29] F. Scala, Il vecchio geloso, VI.8 SCALA, 1611.

[30] T. Arbeau, Orchesographie et traicté en forme de dialogue, par lequel toutes personnes peuvent facilement apprendre et practiquer l’honneste exercice des dances, Lengres, J. Des Preyz, 1589.

[31] L. Falavolti, Commedie dei comici dell’arte, Classici UTET n°54, Torino, UTET, 1982, p. 12.

[32] « Ils négligent le fait que les plus résolus de leurs adversaires, reprenant par-delà les siècles les arguments des Pères de l’Église, considèrent en bloc les comédiens comme des empoisonneurs publics, et tiennent toutes leurs productions pour également dangereuses en ceci qu’elles occupent un temps qu’il serait plus utile d’employer à la prière, allant même, dans certains cas, jusqu’à considérer la décence morale et la qualité littéraire comme une périlleuse séduction de plus. », G. Luciani, “L’acteur dans la Commedia dell’arte”, L’Acteur en son métier. Textes réunis et présentés par D. Souiller et Ph. Baron, Publications de l’Université de Bourgogne, EUD, 1997, p. 68.

[33] Propos du cardinal G. Paleotti (1578), cités par F. Taviani, ed. La Supplica, p. LXXIV.

[34] « alla pavana »

[35] « Nous connaissons cette musique sous une forme qu’on pourrait appeler de concert ou même académique, c’est-à-dire dans une écriture à quatre voix qui les destinait à l’exécution par plusieurs chanteurs ou instrumentistes : mais on sait très bien qu’elles étaient parfois et même souvent exécutées à une voix avec accompagnement d’un seul instrument, et que dans ce cas, si l’instrument était à cordes pincées, on avait l’habitude de supprimer une partie, celle d’alto. », N. Pirrotta, « Tragédie et comédie dans la camerata fiorentina », Musique et Poésie au XVIe siècle, Paris, C.N.R.S., 1973, p. 291. cité par I. Mamczarz, Le Masque et l’âme. De l’improvisation à la création théâtrale, Paris, Klincksieck, 1999, p. 10.

[36] A. Perrucci, Dell’arte rappresentativa, premeditata ed all’improviso, Naples, Muzio, 1699.

[37] « Ces artistes de comédie, mercenaires et chanteurs, doivent, dit-on, remplir les conditions suivantes : ils doivent être de véritables virtuoses dans la pratique du chant, de la musique ou de la danse, dans la création de nouvelles architectures, dans le maniement de machines extraordinaires, ou dans l’aisance et la grâce de varier les scènes, ou bien dans tout ce qui peut encore concerner la représentation musicale », D. Ottonelli, Della Cristiana Moderazione del Teatro, cité par F. Taviani, La Commedia dell’arte e la società barocca. La fascinazione del teatro, Op. cit., p. 512.

[38] C. Bourqui, La Commedia dell’arte, Introduction au théâtre professionnel italien entre le XVIe et le XVIIIe siècles, sous la direction de Gabriel Conesa, Paris, SEDES, 1999, p. 29.

[39] Cosnier et Brossard, La Communication non-verbale, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1984, p. 43.

[40] « Nous avons vu que les expérimentations enlevant l’intentionnalité à l’émetteur, la signification au message ou le cadre spectaculaire au public n’ont jamais produit, par ce moyen, un spectacle vraiment non sémiotique. En effet, il est difficile d’imaginer et peut-être impossible de décrire à quoi ressemblerait un tel spectacle, parce que nous ne pourrions en parler ou penser qu’avec des outils fournis par notre culture. On devrait imaginer une expérience créée entièrement par le hasard, impliquant des éléments privés de signification et perçue par des publics auxquels la culture n’aurait pas donné les moyens de trouver un sens à cette expérience. […] Cette expérience, si elle pouvait être réalisée, nous l’appellerions probablement « expérience », ou peut être « événement », mais il me semble peu probable que nous trouvions adéquat le terme « spectacle », M. Carlson, « Semiotics and Nonsemiotics in Performance », Modern Drama, vol. 28, n°4, décembre 1985, p. 675.

[41] P. Pavis, « Spectacle », Dictionnaire du théâtre, éd. revue et corrigée, Paris, Dunod, 1996. 

[42] R. Barthes, « Le théâtre de Baudelaire », Essais critiques, Paris, Éd. du Seuil, 1964, p. 41-42.

[43] G. Spielmann, « Spectacle, théâtre, texte : esquisse d’une problématique », Spectacle et Spectaculaire à l’Age classique, L’Esprit créateur, automne 1999, Vol. XXXIX, N°3, p. 86. 

[44] G. Spielmann, « Spectacle, théâtre et texte : esquisse d’une problématique », L’Esprit créateur, Ibid., p. 80.

[45] Le traité sur le geste de Bonifacio, en 1616 : « L’arte de’cenni, con la quale formandosi favella visible, si trotta della muta eloquenza, che non è altro che un facondo silenzio / « l’art des gestes, où grâce à la formation d’un langage (rendu) visible, on traite de l’éloquence muette, c’est-à-dire d’un silence bavard » me semble significatif. Dans cette optique, on pourrait parler de sémiotique du silence. Le fait même que le geste est silencieux mais parle signifie qu’un telle sémiotisation implique une tension. Ce fait est dû à la continuité que le niveau profond donne à ce qui se passe sur scène. Le « silence bavard » ne fait que souligner ce niveau modal, qui est caché mais présent à tout moment.

[46] Consulter E.W. Goellner, J. Shea Murphy, Bodies of the text : dance as theory, literature as dance, New Brunswick, Rutgers university press, 1995

[47] « Dès lors, il ne s’agit plus, pour le philosophe, de résoudre les questions en termes de jugement (mouvement centralisateur : Kant), mais de faire fleurir les questions (mouvement centrifuge : Nietzsche) en termes, dirai-je de danse. », G. Didi-Huberman, « La dialectique peut-elle se danser ? », Magazine littéraire, n°414, nov. 2002, p. 45.